Écrit par Denis Jeanson le . Publié dans introduction

03domination romaine

III Domination romaine


De 55 à 50 avant Jésus-Christ, la Gaule passa sous domination romaine, mais Jules César avait besoin d’elle. Il fit enrôler les meilleurs guerriers dans son armée, qui lui servirent à conquérir le pouvoir à Rome. En échange, il accorda aux vaincus une certaine autonomie. Ses successeurs accentuèrent cette tendance. Pour les Gaulois, la chute de la République romaine fut une bonne affaire : si le pouvoir central les considéra toujours comme des moutons, il entreprit de les tondre plutôt que de les écorcher vifs ou de les tuer.

Cette amélioration relative se doubla d’un essor économique. Domaine agricole dépendant d’un propriétaire ou d’un tenancier et économiquement organisé jusqu’au VIIe s., la villa se composait d’une réserve seigneuriale et de manses. Dès le VIIIe s., le sens évolue et villa équivaut à petite exploitation. Ainsi en 851, Charles le Chauve, énumérant les biens dont il confirme la possession au chapitre Sainte-Croix d’Orléans, cite : Villa Massiacus cum villis et appendiciis suis (Cartulaire de Sainte-Croix d’Orléans, charte 35) ; Maray (Loir-et-Cher) avec ses villas signifie : le domaine de Maray et les exploitations en dépendant, proches des manses, sinon de simples manses. Villa prend alors le sens d’agglomération d’hommes, plutôt que de domaine dépendant d’un propriétaire. En toponymie, villa et fundum suivent cette évolution ; d’où la création de diminutif, petite exploitation agricole, et d’augmentatif, hameau, village.

Lorsque le nom du propriétaire ou du tenancier primitif est suivi de villa, exprimé ou sous-entendu, le nom est le plus souvent au féminin ; lorsqu’il est suivi de fundus, exprimé ou sous-entendu, précédé ou non de l’article, le nom est le plus souvent au masculin.

Les commerçants et les artisans gaulois eurent désormais accès au marché européen : l’Empire romain. Ceci explique en partie que la Gaule se soit sentie, sinon romaine, du moins étroitement liée à Rome. En 70 après Jésus-Christ, les représentants des cités gauloises se réunirent à Reims et choisirent le loyalisme, c’est-à-dire la prospérité économique et l’aliénation de leur liberté. L’éphémère empire gaulois du IIIe s. correspondit à la volonté des militaires de défendre efficacement la romanité de la Gaule, alors que le pouvoir central s’effondrait. Ainsi, le mouvement des Bagaudes, dont les bandes errantes sillonnèrent la Gaule au IVe s., correspondait à une révolte sociale de paysans ruinés par les guerres et par le fisc, et non à une revendication nationaliste. Primum vivere, deinde philosophare.

Jusqu’aux grandes invasions, la Gaule se romanisa : les notables adoptèrent la langue du vainqueur, puis les citadins, enfin les campagnards, pagani, furent touchées à partir du IIIe s. La christianisation se développa et le latin fut sa langue de propagation. Les toponymes d’origine latine peuvent dater du Ier au XIIIe s. et ont pour origine une composition de gaulois et de latin ou la christianisation. L’origine linguistique du toponyme interdit donc toute datation précise de peuplement, même si elle est une indication précieuse, car les documents médiévaux connus furent rédigés en latin par des clercs qui, chaque fois qu’ils le purent, transcrivirent le nom du lieu sous la forme qu’ils imaginent qu’il aurait dû avoir en latin classique, et pas sous la forme qu’ils entendaient prononcer dans la vie quotidienne. Restent quelques indices : val, du latin féminin vallis, doit être antérieur au Xe s. époque à laquelle ce mot passe au masculin vallus et aboutit à vau ; la présence de l’article constitue une présomption de modernité, son usage régulier s’imposa à partir du Xe s.

Dieux latins.

Dans ces toponymes provenant de noms divins, le substantif templum, fanun, mons, aquae disparaît, conformément au génie du latin classique qui ignore le mot qui signifie temple entre les prépositions ad, ante, a, prope, et le génitif qui désigne le dieu auquel le temple est consacré. Ex : Ventum erat ad Vestae = on était arrivé [au temple] de Vesta (Horace).

Suffixe.

En latin, le suffixe est imparisyllabique ; il faut donc toujours revenir à l’accusatif pour comprendre l’évolution du nom ; en gaulois, il est le plus souvent post-tonique ; et dans les noms de domaines d’origine latine ou gauloise, il est toujours accentué.
Le suffixe latin entum peut provenir de la finale gauloise entos, qui sert à former des substantifs aux dépens des adjectifs. Cf. en français : nouveau, nouveauté. En Val de Loire, cette finale latinisée entum peut devenir ent ou ant.

Nom de domaine.

Comme il est presque impossible de distinguer les noms de lieux de formation latine jusqu’au Ve s., de ceux de formation romane, du Ve au Xe s., ils sont réunis sous la dénomination générale de bas latin. 2 ouvrages servent de point de référence pour affirmer l’existence des noms de personne qui sont à l’origine de ces noms de lieu :
- Joseph Perin, Onomasticon totius latinitatis, Padoue, 1940.
- Marie Thérèse Morlet, Les noms de personnes sur le territoire de l’ancienne Gaule du VIe au XIIe s., Paris, 1968, 1972, 1985.
Les noms de fundi dérivant de gentilice d’origine latine devraient être postérieurs à la conquête romaine, puisque avant celle-ci, les Gaulois ignoraient tout gentilice et que les peregrini ou étrangers, ceux qui n’étaient pas cives romani, citoyen romain, n’avaient pas le droit de prendre un gentilice. En fait, beaucoup en prirent et il y eut dans l’Empire nombre de faux citoyens, comme il y a en France de faux nobles.

1 Nom de domaine formé avec un anthroponyme, employé absolument.

Un nom d’homme, le plus souvent le propriétaire ou le tenancier primitif, servit à désigner le domaine gallo-romain. Pour signifier le bien-fonds de Cerdonius, le latin pouvait dire fundum Cerdonii, au génitif, ou bien avec l’adjectif correspondant : fundum Cerdonium ; comme Cerdonii et Cerdonium aboutissent régulièrement à la même forme en français, quand le nom générique déterminé fundus, terra ou villa, par exemple, est supprimé ou sous-entendu, il devient impossible de distinguer le nom de personne de l’adjectif correspondant. Aussi leur analyse sera-t-elle confondue.
Ce fut à l’origine, et ce sont pour la plupart des gentilices en ius qui, suivant l’usage latin, pouvaient s’employer adjectivement : au masculin, le substantif fundus = bien-fonds, propriété, domaine, est sous-entendu, au féminin, villa = domaine rural. Par extension, d’autres noms de personne, voire de simples sobriquets, purent s’employer de façon identique.

2 Nom de domaine formé à l’aide d’un anthroponyme et du suffixe de possession acus ou de sa forme féminine aca.

Le suffixe gaulois acos, latinisé acus, servit à former des adjectifs aux dépens des substantifs. De valeur originaire assez vague, il se spécialisa dès le début de la domination romaine pour désigner les domaines. Vu la longue durée de cette formation, celle-ci a des origines diverses. Si ces toponymes se forment généralement à l’aide d’un nom d’homme, le plus souvent le propriétaire primitif, ils peuvent aussi venir de noms communs, d’ordre géographique, botanique, zoologique, etc. Ainsi les noms d’arbres : aceracus, alnacus, bettiacus peuvent représenter un endroit où abondent les érables, les aulnes ou les bouleaux, ou de domaine d’Acer, d’Alnus, de Bettius, surnoms d’origine le plus souvent liés au voisinage de la demeure, voire un sobriquet, comme les noms de famille français Delaune, Bessière, Lehêtre.
Parmi les anthroponymes, il faut distinguer 3 catégories :
- gaulois.
- surnom, cognominum, romain.
- nom de famille, nomimum gentilicium, dont quelques uns ont pour origine un nom d’homme étranger ou gaulois, mais dont la majorité sont des gentilices romains. Le gentilice était tiré du cognomen, au radical duquel s’ajoutait le suffixe ius. Ainsi Flavus, le blond, Taurus, le taureau donnèrent Flavius, Taurius. Tous les Flavius descendaient d’un Flavus, le plus lointain ancêtre connu ; tous les Taurius d’un Taurus. D’où la gens Flavia, la gens Tauria. S’appliquant à la femme, le gentilice prenait la désinence féminine ia : Cornelia, Domitia, Julia. Le cognomen simple ou surnom était la source d’autres surnoms développés à ses dépens : Albinus, d’Albus ; Flavinus, de Flavus ; Marcellus, de Marcus ; Taurinus, de Taurus ; d’où de nouveaux gentilices : Albinius, Falvinius, Marcellius, Taurinius. Comme le surnom, le gentilice avait des variantes orthographiques présentant le redoublement d’une consonne : Avenius et Avennius, Bucius et Buccius, Clepius et Cleppius, Malius et Mallius.

En Val de Loire, ces gentilices se terminent le plus souvent en ius et rarement en enus. La plupart de ces gentilices furent portés par des Gaulois ayant obtenu le droit de citoyen romain ou de cité, surtout après le décret impérial de Caracalla, de son vrai nom Marcus Aurelius Antoninus (211-217), qui fit citoyen romain tous les hommes libres de l’Empire ; en fait, ce décret devait faire passer dans le domaine du droit une réalité plus ancienne. Ces anthroponymes en ius foisonnent sur les inscriptions et se développèrent par snobisme : les noms d’origine, les sobriquets eux-mêmes prirent la finale ius, jugée plus aristocratique, dont la préposition française de est une simple continuation au niveau des mentalités. Cette évolution cadrait d’ailleurs avec la vitalité encore grande de ce suffixe à l’époque impériale.
D’après l’inscription de Cenabum, 1er s., le fils du Gaulois Atepomarus, vocable celtique, avait déjà les 3 noms obligatoires pour le citoyen romain : Lucius (praenomen) Cornelius (nomen gentilicium) Magnus (cognomen) ; il appartenait à la gens Cornelia, tout comme Tacite. Ainsi quand Rome eut soumis le monde, il y eut chez des peuples divers, des hommes, des familles qui s’ignoraient complètement, aussi éloignés que possible par l’espace, par le sang, par la langue, par la religion et par les mœurs, et qui, pourtant, appartenant à la même gens, portaient le même nom.
Peu après 160, les 2 notables gaulois qui firent exécuter le cheval de bronze trouvé à Neuvy-en-Sullias, Loiret, et consacré au dieu Rubiobus, s’appellent Servius Esumagius Sacrovir et Servius Iomaglius Severus ; ils sont donc citoyens romains.
- Servius Esumagius Sacrovir emprunta à Rome sont prénom, Servius ; il se fit un gentilice avec Esumagus, nom celte latinisé qui signifie le serviteur du dieu Esus, peut-être le nom de son père, en y ajoutant le suffixe us ; son surnom Sacrovir est celtique, c’est celui du chef gaulois qui poussa les Éduens à la révolte et qui mourut l’an 21.
- Servius Iomaglius Severus emprunta à Rome son prénom Servius, son surnom Severus ; il intercala entre ces 2 vocables un gentilice Iomaglius ou Jomaglius, dérivé du gaulois Iomaglus ou Jomaglus, probablement le sien ou celui de l’un de ses ancêtres.
S’il y eut romanisation, il y eut peu de colonisation.

Le nom d’homme qui précède le suffixe adjectif acus est celui du fondateur du domaine, fundus, l’un de ses propriétaires qui en marqua l’histoire, ou le propriétaire au jour de la confection du cadastre. Ainsi Corneliacus, sous-entendu fundus, signifie le domaine de Cornelius. Dans la France du XIIIe s., après les affranchissements collectifs, on créa des noms de propriétés rurales d’une façon analogue, à l’aide du suffixe adjectif féminin erie, puis ière à partir du XIVe s., qui exprime le lieu où s’exerce un droit, une action Ainsi la Girauderie ou Giraudière, la Picarderie ou Picardière, la Thomasserie ou Thomassière.
Le suffixe gaulois acos, latinisé en acus, servit à former des adjectifs aux dépens des substantifs. Cf. le français : angle, anguleux ; peur, peureux.
Acus, sonorisé dès le VIe s. en agus, aboutit à ei ou ai, de l’accusatif acum, agum par vocalisation du c intervocalique en g. Ai fut généralement écrit ay à partir du XVe s.
La finale iacus, le i faisant partie d’un nom d’homme qui est généralement un gentilice en ius, subit des transformations plus variées. Dans l’Ouest de langue romane, il aboutit généralement à é, quelquefois, mais rarement noté ay. Dans l’Orléanais, le Berry et l’Île-de-France, iacus, après s’être adouci en iagus, aboutit à iei, réduit à ei, puis à i, de l’accusatif iagum, noté généralement depuis le XVe s. par y, plus rarement par is, surtout dans le Gâtinais. Cette notation se retrouve dans le Cher, Soulangis, Voulangis, en Indre-et-Loire, Montlouis, de Mons Laudiacus.

En Val de Loire, se trouvent donc 2 séries phonétiques qui accusent des formations d’époque différente :
- le phénomène de palatalisation est régulier : l + y = lh, n+ y = nh, d + y = dj = j, v + y = dj = j.
- le phénomène de palatalisation est irrégulier. Il se double d’une métathèse : Caniacus aboutit régulièrement à Chagnay ; par métathèse à Chainay ; la palatalisation du y se fait indépendamment : Billiacum aboutit indifféremment à Bilgy ou à Bilhy ; la palatalisation n’aboutit pas : Silviacum devient Sauviat au lieu de Sauvy.

L’opposition entre les formes syncopées et non syncopées permet en général d’apprécier la date de formation, à ceci près que la contraction put s’opérer à toute époque. Dans les cas de non syncope et de palatalisation irrégulière, il peut aussi s’agir de formations régulières dont les clercs restituèrent une forme prétendue ancienne et plus correcte, comme le firent les auteurs du XVIe s. pour le français. D’où les formes aberrantes des Pouillés des diocèses de Bourges du XIIIe s., et de Chartres de 1663.

Tous les toponymes français terminés en ay, é ou y peuvent donc rappeler des noms de domaines gallo-romains ou francs, mais leur origine peut être toute autre. Sans parler d’erreur de transcriptions, origine d’interprétations fantaisistes, ou d’erreur d’interprétation faite uniquement par comparaison, en l’absence de formes anciennes, une famille qui tirait son nom d’un domaine en acus, put très bien se transplanter, pour fonder ou pour exploiter un domaine auquel elle donna son nom : ainsi le nom du domaine devint un anthroponyme.

La formation en acus se développa dès le IIe s. et surtout au IIIe s. Sa cristallisation commença fin IIIe s., époque à laquelle la réorganisation administrative et fiscale inaugurée par Dioclétien eut pour résultat la fixation du cadastre. Les vestiges de noms gaulois montre que la disparition des anthroponymes gaulois se fit très vite le long des rivières et plus lentement sur les plateaux. Les noms chrétiens qui se multiplièrent dès la fin du IVe s., laissèrent peut de trace en toponymie. Toutefois, le développement de ces formations se ralentit à la fin de l’Empire romain pour des raisons :
- linguistiques : cristallisation des désignations des terrains bâtis et non bâtis,
- sociales : crise agricole, manque de main-d’œuvre, donc arrêt dans la mise en valeur de terres nouvelles.
Mais celles-ci purent rester vivaces dans certaines régions ou furent vite remplacées par des composés avec le nom de propriétaires : Riche-court, Romain-ville, dès la période franque.

Au VIe s., la terminaison iacus fut prise pour un véritable suffixe et servit à former des toponymes à l’aide de noms d’homme d’origine germanique : Alberiacus, d’Alberius ; Carliacus, de Carolus ou de Carlus ; Childriacus, de Childericus ; Dodiniacus, de Dodo ; Landericiacus, de Landericus. Ces formations tardives se reconnaissent à la présence de noms de propriétaires d’origine germanique qui purent s’installer au Ve s.

Pour présenter une datation, il faut savoir qu’au Moyen-Âge un domaine prend rarement le nom de son possesseur tel quel, sans suffixe ni article. Ces possibilités de transplantations sont ainsi impossibles pour les chefs-lieux de paroisse, peu vraisemblables pour les hameaux ou villages, plus nombreux pour les fermes, et surtout pour les moulins, dont le nom, moins sujet à la cristallisation, changea souvent avec le propriétaire. En sens contraire, nombre d’anciens domaines sont connus par les seuls textes : chartes, diplômes, lettres royaux, titre de propriété, etc.

La forme féminine aca suit les mêmes règle et évolution que acus mais sous-entend villa = domaine rural.

3 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe latin collectif ou de possession, masculin anum et féminin ana.

Ce suffixe latin anum, ana, sert à former un adjectif à partir du nom propre : il sous-entend le latin fundum = bien fonds et indique la propriété. Il fut importé en Gaule. Sa présence sporadique en Val de Loire doit correspondre à des milieux plus latins, à des domaines où prédominaient sans doute des colons venus du Sud de la France. Il s’ajoute presque toujours à un nom d’homme gaulois. Sa vitalité fut de longue durée puisqu’il servit aussi bien à former des substantifs à partir du latin : anteanum = ancien, que des noms de lieu à partir des noms d’homme d’origine germanique. Phonétiquement la finale anum aboutit à an qui se ferma en on vers la fin du Moyen-Âge ; en Val de Loire, l’accent recula le plus souvent sur la protonique et on aboutit à one.
Corbignan. Bas latin Corvinianus. Gentilice Corvinius, formé sur le surnom Corvinus, dérivé de corvus = le corbeau, et suffixe anum. Corvinianum = le domaine de Corvinius.

4 Nom de domaine formé à l’aide d’un nom de personne et du suffixe de possession anicum.

Le suffixe anicum est d’origine latine et correspond à un sous-dérivé du suffixe anum ; le plus souvent au pluriel, anicos, il sous-entend le terme agros = champs. Sa signification serait : les champs appartenant à tel homme. A l’origine, les toponymes de ce type devaient représenter un nom d’homme en anus suivi du suffixe de possession icum, masculin : anicum, féminin : anica ; puis, par fausse perception, la finale anicum devint un suffixe de possession ajouté à un nom d’homme. Ainsi Paulanicum peut s’expliquer par Paulus et anicum, ou Paulanus et icum. Comme la plupart des noms d’homme en anus à conjecturer sont inconnus des auteurs anciens, des inscriptions et d’autres témoignages, la dérivation anicum reste toujours possible mais incertaine. Pour la datation, la proportion de noms d’homme d’origine germanique étant la plus forte, ce type de formation dut commencer vers le Ve s.
En Val de Loire, l’ère de diffusion d’anicos est prépondérante dans le département du Cher, où il se confond avec le suffixe germanique ingen, de même valeur, romanisé en inga : même terminaison en ange.
Exemple. Marsange, commune de Rians.

5 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe collectif aria.

Formation à partir du VIIIe s., tardive, mais possible.

6 Nom de domaine gallo-romain formé à l’aide du suffixe gaulois avus, thème de nom de lieu.

Pezou. Bas latin Petiavus. Nom d’homme d’origine latine Petius et suffixe avus.
Manou. Bas latin Minnavus. Nom d’homme d’origine gauloise Minno, dérivé de minn = le chevreau, et suffixe avus.
Ces 2 communes occupent le même type de site, favorable à la vie humaine : à l’orée d’un bois, le long d’une rivière.

7 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe latin collectif ou de possession ellum.

Le suffixe ellus put servir à former des noms de domaine d’origine gallo-romaine, en s’ajoutant à un nom de propriétaire. Sorel : Saurellus = Saurus, nom d’homme gaulois et ellus.

8 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe latin ensem.

Le suffixe ensem sert à composer un adjectif à partir d’un substantif ou d’un nom propre, et sous-entend fundum = bien fonds ; il signifie : le bien fonds de tel homme.

9 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe latin collectif icus, ica.

Le suffixe masculin icus, féminin ica, s’ajoute à un nom commun ou à un nom géographique. Cette source se tarit de bonne heure, ce suffixe atone s’étant syncopé et ayant perdu ainsi toute individualité. L’exemple le plus célèbre est colonus = colon, qui donne colonica = maison de colon agraire.

10 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide d’un substantif ou d’un nom d’homme, et du suffixe latin collectif inus, ina.

Thieulin. Substantif latin tegula = tuile et suffixe inum. Ce nom correspond au toponyme français La Tuilerie.
Lavardin. Gentilice Labericius et suffixe inus.

11 Nom de domaines gallo-romains formé à l’aide du suffixe de possession iscus.

12 Nom de domaine formé à l’aide d’un nom d’homme et du suffixe italo-celtique de possession o-onem.

Ce toponyme provient du gentilice en ius et du suffixe de possession o-onis, qui équivaut au suffixe gallo-romain acus et au suffixe latin anus.
Les gentilices en o ont un accusatif onem ; ainsi Petrus avait un accusatif Petronem sur lequel se firent les noms propres Petronus, Petrona, Petronilla. Aussi peut-on supposer que des noms de lieux en on proviennent d’un nom d’homme roman à l’accusatif onem.
Ce nom de domaine est souvent antérieur à la romanisation de la Gaule. Il est difficile de délimiter rigoureusement les formations d’origine gauloise et gallo-romaine, les noms d’homme gaulois restant en usage fréquent jusqu’au IIIe s. Des toponymes d’origine gauloise offrent la finale one, suffixe que le gaulois et peut-être le ligure possédait, ainsi que le latin et le germanique. Avec ses gentilices, le latin offre la variante ione qui peut donc provenir d’une forme en us ou en ius. Si cette formation est peu fréquente, elle dura plus longtemps : cette série comprend plus de noms germaniques que dans celle en acus. Au point de vue phonétique, divers noms accusent une formation tardive.
Tivernon. Gentilice Tiberinius, formé sur le nom d’homme Tiberinus, aussi employé comme prénom, et suffixe onem.
Thiron. Gentilice Tironius et suffixe onem.
Tendron. Tandronius, nom d’homme d’origine germanique, et suffixe onem.

13 Nom de domaine formé à l’aide d’un nom d’homme et du suffixe féminin a.

Le a féminin fait du nom propre un adjectif ; la forme qui en dérive suppose villa = domaine rural.

Règle de datation.

Le nom de lieu d’origine gauloise ou gallo-romain devint souvent un nom d’homme aux VIIe-Xe s., pour redevenir un nom de lieu au moment de l’expansion démographique des XIe-XIIIe s. : l’homme prend le nom du lieu qu’il habite aux VIIe-Xe s. et, après nouveau défrichement, donne son nom au lieu qu’il habite aux XIe-XIIIe s.

La pratique architecturale montre qu’en général, les noms de lieux d’origine gauloise et gallo-romaine s’appliquent aux fiefs, et les autres à l’exploitation agricole. Exemple : Pouvray, commune de Vernou-sur-Brenne, Indre-et-Loire.

Commerce et industrie.

L’origine du minerai de fer de la Touraine et du Berry s’explique par le dépôt d’argiles au-dessus de la craie, caractérisé par les zoophytes provenant de la craie et changés en silex. Dans cet argile se rencontre le minerai de fer employé dans les hauts-fourneaux de Bossay-sur-Claise, de Château-la-Vallière, de Pocé-sur-Cisse, et de Luçay-le-Mâle ; il s’y trouve en nodules irréguliers qui concoururent parfois à la coloration de l’argile, mais le plus souvent paraissent avoir été sans action, parce qu’ils provenaient du lavage des couches supérieures de la craie comme les zoophytes silicieux. Si les exploitations de fer hydroxydé dans l’argile sont abandonnées fin XIXe s., il dut en être bien autrement à une époque plus reculée, lorsque des forges, dont les toponymes conservent le souvenir sous le nom de forges ou de forges à bras, se trouvaient dans les endroits appelés Ferrière ou Laferrière.

Cette origine n’est pas exclusive, car le minerai put provenir des formations cénomaniennes, comme à Marray et à Ciran, ou du Sidérolithique, comme à Pocé-sur-Cisse et à Chédigny. Des nodules ou plaquettes de minerai d’origine crétacée peuvent se trouver à l’état remanié dans des sables du Miocène, dans des conditions de récupération très facile, comme au Peu, commune de Sublaines.

Sans l’érosion de la craie, l’industrie du fer aurait été impossible en Touraine et en Berry, car l’extraction des nodules pyriteux, au milieu des masses calcaires, aurait entraîné des frais disproportionnés par rapport au bénéfice possible.