Écrit par Denis Jeanson le . Publié dans introduction

07expansion démographique

VII Expansion démographique

Phénomène inconnu jusqu’alors, la région du Val de Loire connaît une expansion démographique continue du Xee s. au XXIe s. Pour la langue, le dialecte de la région se confond avec le français administratif et littéraire, auquel il servit de base. En quantité, cette couche toponymique est de beaucoup la plus importante. Ceux des lieux très habités : ville, bourg, village, sans nom aux époques précédentes, reçurent généralement un nom dialectal. Quant aux hameaux et aux maisons isolées, ils portent presque tous un nom dialectal.

A la différence des périodes précédentes, les hapax sont moins nombreux. Ici, la toponymie rend mieux compte de phénomènes de société :
- économie : culture, élevage, industrie
- implantation : habitat groupé d’une manière lâche ou serrée ; habitat isolé de la maison seigneuriale, de l’exploitation agricole ou de l’établissement religieux
- paysage : champ ouvert, champ fermé, bois ; urbanisation autour de l’église paroissiale.

1 Le monde féodal.

Ce mode d’organisation de société se mit en place 4 siècles environ après la chute de l’Empire romain d’Occident en 475. Il a pour origine juridique l’édit de Mersen du 28 janvier 847, signé entre Louis le Germanique et Charles le Chauve, qui permit à tout homme libre de se choisir un seigneur, et le capitulaire de Kiersy-sur-Oise signé par Charles le Chauve en juillet 877, qui assurait aux seigneurs l'hérédité des fiefs, charges et dignités qu'ils avaient possédés jusqu'alors à titre temporaire (publié par Émile Bourgeois, Librairie Hachette, Paris, 1885).
Pendant près de 9 siècles, ce système régit la société française au travers d’infinies variantes. Si celle-ci finit par le rejeter le 4 août 1789, le terroir en garda de nombreux vestiges : les ruines des maisons seigneuriales, bien sûr, mais aussi les noms de lieux.

L’expansion économique et culturelle des XIe-XIIIe s. provoqua un nouveau type de peuplement dans les villes et dans les campagnes, qui aboutit à la création d’une foule de toponyme.
- Expansion économique : la culture, le commerce, l’industrie.
- Pouvoir du seigneur : le fief, les droits féodaux, les espaces réservés au seigneur, les espaces libres, les titres nobiliaires et ecclésiastiques, les possessions royales, les châteaux et les fortifications.
- Villes et paroisses nouvelles. Il s’agit le plus souvent de création volontariste dans le cadre du grand boom démographique européen des XIe-XIIIe s. Là où rien n’existait, là où un village vivotait à grand peine autour d’un établissement religieux, chapelle, cella ou église, monasteriolum, une autorité civile ou ecclésiastique décida de créer une paroisse, reconnaissable à ses rues plus larges, plus droites, plus régulières qu’ailleurs, correspondant à un plan préconçu et exécuté plus ou moins rapidement. Cette autorité y attirait des colons en leur octroyant un statut d’hommes libres, souvent en supprimant des impositions.

Pagus, vicaria, et comté.

Vicaria, au sens de circonscription administrative, a perdu toute réalité juridique depuis 975. La référence au pagus est pour ainsi dire inconnue depuis le Xe s. Le terme comitatus, comté, apparaît vers 950, et déjà le mode de rédaction suggère l’équivalence de pagus et de comitatus : le transfert s’amorce début Xe s. et s’achève milieu XIe s.

Les Coutumes.

La Région Centre relevait du droit coutumier qui se transmettait par voie orale, avec sa jurisprudence.
En vue de mettre un termes aux incertitudes, à des interprétations divergentes et surtout à des abus de droit, l’Ordonnance d’avril 1453 prescrivit la rédactions des coutumes du Royaume transmises jusque là par tradition orale. La Coutume orale passait, de fait, au droit écrit.

Chaque coutume avait son détroit ou ressort, lié à l’héritage économique et politique de la province, et ses limites correspondaient à celles des fiefs de chaque province. En fait, si plusieurs paroisses relevait d’une Coutume, une paroisse pouvait relevait de plusieurs Coutumes. D’où la complexité du système judiciaire.
La Coutume générale d’une province pouvait se trouver modifiée ou infirmée sur des points précis par des coutumes locales, dont les variantes portaient le plus souvent sur quelques articles, s’appliquant à quelques justiciables.

Voici les Coutumes régissant la partie du Royaume appelée à former la Région Centre :
Coutume de Berry. Rédaction : 1481. Réformation : 1539.
Variantes locales : Issoudun (abandonnée de fait fin XVIe s au profit de la Coutume générale de Berry), Mehun-sur-Yèvre, Sainte-Sévère-sur-Indre, Thevet.
Coutume de Blésois. Rédaction : 1523.
Variantes locales : Autroche (à Saint-Viâtre), baronnie de la Rue d’Indre à Châteauroux, Bouges-le-Château, Buxeuil, Chabris, Dunois, La Ferté-Avrain [La Ferté-Beauharnais], La Ferté-Imbault et Salbris, Levroux, Marchenoir et Fréteval, Mennetou-sur-Cher, Moulins en Berry, Romorantin, Millançay et Villebrosse (à Saint-Viâtre et Billy), Saint Aignan, Selles-sur-Cher, Souesmes, Valençay, Vatan, Villefranche-sur-Cher.
Coutume de Chartres. Rédaction : 1508.
Coutume de Châteauneuf-en-Thymerais. Rédaction :
Coutume d’Orléans. Rédaction : 1509.
Jusqu’au XVe s., l’Orléanais connaissait une coutume, celle d’Orléans, qui se confondait avec celle de Lorris. Les paroisses du détroit de cette dernière Coutume furent convoquées en 1493, en vue de procéder à sa rédaction, non pas à Orléans, tenue en apanage, mais à Montargis, principal siège royal de la province. Orléans contesta cette décision et entrepris, de son côté, la rédaction de l’ancienne coutume de Lorris ou coutume d’Orléans. Ce travail fut achevé en 1509, et les gens du bailliage de Montargis refusèrent d’en tenir compte, et s’en tinrent à l’ancienne coutume de Lorris, ignorant, avec superbe, la rédaction de 1509 rédigée à Orléans. En 1531, les gens du bailliage de Montargis obtinrent du Roi l’autorisation de réformer les coutumes de leur bailliage ; ce qui aboutit à une 2de version de la Coutume de Lorris, rédigée par les commissaires du bailliage de Montargis, à laquelle l’usage donna le nom de Lorris-Montargis, pour la distinguer de celle rédigée en 1509, que les praticiens appelèrent Lorris-Orléans, ou plus simplement Orléans (Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier général, Paris, 1724, t. II, p. 829-830, note a).
Coutume Touraine. Rédaction : 1461. Réformation 1507 et 1559.
Variantes locales : Azay le Ferron, Buzançais, Châtillon-sur-Indre, Herbault, Montrichard, Saint-Cyran-du-Jambot, Saint-Genoux.
Coutume de Vendôme. En 1698, le comte de Boulainvilliers, Intendant d’Orléans, écrivait : Les quatre grands bailliages de la Généralité [d’Orléans, Orléans, Blois, Chartres, Montargis] ont chacun leurs coutumes particulières quoique dans leur étendue il se trouve quelques exceptions. Le Vendômois suit la Coutume d’Anjou à la différence de quelques articles (La Généralité d’Orléans, Mémoire dressé pour S.A.R. Monseigneur le duc de Bourgogne, Herluison, Orléans, 1867, p. 45-46). Au XIe s., la mainmise de Geoffroy Martel, comte d’Anjou, sur des terres du comté de Blois, est à l’origine de l’obédience angevine de la Coutume de Vendôme. Jusqu’à l’Édit du Roy portant création d’un bailliage prévostal à Vendosme, novembre 1713 (B.N.-Fonds Joly de Fleury, Ms 1179, fol. 90), date de réunion du duché de Vendôme à la Couronne, le Vendômois dépendit donc pour la plus grande partie de la Sénéchaussée de Baugé (Maine-et-Loire). Cette coutume d’Anjou pour le Vendômois différait de celle d’Anjou sur 3 points : le droit d’aînesse, le rapport entre les époux et la juridiction des juges de Baugé pour les appels. En fait, il s’agit d’une partie du Vendômois, l’autre suivant la Coutume de Blois, la rivière de Braye formant la limite entre les Coutumes d’Anjou à l’Est, et du Maine, à l’Ouest. Les baronnies de Mondoubleau et de Savigny-sur-Braye se trouvaient régies par la Coutume de Vendôme, sur quelques points particuliers.

Les enclaves à l’intérieur des circonscriptions bailliagères s’expliquent par le fait que des fiefs, et non des paroisses, échappèrent, soit en matière d’usages féodaux, soit en matière de droit privé roturier, à la règle commune de la châtellenie.
Le cadre des 2 mitigations coutumières de Chartres et de Blois dans le Vendômois est donc à verser au dossier des privilèges locaux liés à l’importance sociale des 2 barons extérieurs au Vendômois, qui purent faire écran à la baronnie comtale de Vendôme : les paroisses d’Azé, Danzé et Mazangé suivaient, selon les endroits, les Coutumes d’Anjou ou de Chartres ; la paroisse Saint-Martin de Vendôme était régie par la Coutume d’Anjou, à la réserve de 4 maisons dont 3 suivaient celle de Chartres et une celle de Blois.
Plusieurs paroisses appartenant au ressort du bailliage de Blois suivaient la Coutume d’Orléans, et vice-versa (Pothier, Coutumes des duchés, bailliage et prévôté d’Orléans et ressort d’iceulx, Paris et Orléans, 1776, t. II, p. 639 et ss).

Cette complexité tient non seulement à l’héritage féodal, mais encore, en théorie, au fait qu’il était impossible d’en modifier le détroit ou ressort. Vers 1678, Catherinot pouvait écrire : La Coustume symbolise avec l’huile, parce qu’elle est ineffaçable ; mais elle en diffère parce qu’elle ne s’étend point (Que les Coutumes ne sont point de droit étroit, p. 11).

Présidial.

En raison de son étendue, les tribunaux supérieur, comme le parlement de Paris, la Table de Marbre, devaient examiner un nombre considérable d’affaires. Pour les soulager, les Édits de janvier et mars 1551 créèrent le présidial, tribunal intermédiaire, chargé de juger en appel les causes civiles les plus médiocres, sans possibilité d’appel : les affaires au 1er chef de l’édit, moins de 200 livres tournois, les affaires du 2d chef de l’édit, entre 200 et 500 livres où l’appel était possible au parlement de Paris ; au dessus de 500 livres, le parlement était seul compétent (Daniel Jousse, Traité de la juridiction des présidiaux, Paris, 1757, p.223).
La dévaluation de la monnaie et l’acharnement des gens de parlement à se réserver le plus grand nombre possible de causes firent perdre toute importance à ces tribunaux. Dès 1551, les villes de Blois, Bourges, Chartres, Orléans et Tours eurent chacune leur présidial ; l’Édit de novembre 1639 créa celui de Châtillon-sur-Indre, au détriment de celui de Tours.
Par plaisir ou par malice, peut-être par commodité, leur ressort différait de celui des bailliages. Ainsi, le présidial de Chartres reçut les 5 baronnies du Perche-Gouet, Alluye, Authon, La Bazoche, Brou et Montmirail, rattachées au bailliage de Janville dépendant d’Orléans.

2 Implantation des paroisses.

Site antique christianisé.

Le domaine rural à l’origine de la paroisse dont le nom commence par saint ou par sainte put avoir un nom antérieur, et prendre ensuite celui du saint patron de l’église, preuve d’une continuité absolue dans l’implantation de l’habitat et de la christianisation progressive des peuples qui occupaient déjà ces lieux. Ces sites les plus anciennement habités correspondent en fait aux implantations les plus aisées, dans l’une des vallées du chevelu des cours d’eau qui drainent la région, comme le prouve toponyme gaulois Nant = vallée, puis rivière, nom primitif de Saint-Luperce.
Voici quelques exemples :
- 18 Cortona ou Gortona : Sancerre (Sanctus Satyrus).
- 18 Nereiacus : Saint-Caprais.
- 18 Fluriacus : Saint-Vitte ou Guy.
- 18 Ernodurum : Saint-Ambroix.
- 18 Naray : Saint-Caprais.
- 18 Nundriacus : Saint-Outrille.
- 28 Pentoison : Aqua prope Carnotum, abbaye de l’Eau, Cne de Ver-lès-Chartres.
- 28 Abronvilla : Saint-Maixme.
- 28 Villa Mauri : Saint-Cloud.
- 28 Calciacus : Saint-Lucien.
- 28 Nant : Saint-Luperce.
- 28 Marcilliacus : Saint-Ouen-Marchefroy.
- 36 Vicus Lucanianus : Saint-Chartier.
- 37 Arciacus : Sainte-Maure-de-Touraine.
- 37 Ciriacus : Saint-Cyr-sur-Loire.
- 37 Luigniacus : Sainte-Julitte.
- 37 Odacus : Notre-Dame-d’Oé.
- 41 Voginantus : Saint-Denis-sur-Loire.
- 41 Litiniacus : Montrieux = petite église.
- 41 Pomeraium, Pommeray : Saint-Sulpice.
- 45 Uxellos : Saint-André-lez-Cléry.
- 45 Brueriae : Saint-Denis-en-Val
- 45 Floriacus : Saint-Benoît-sur-Loire.
- 45 Miciacus : Saint-Mesmin de Micy-lez-Orléans.
- 45 Nobiliacus : Saint-Gondon.
- 45 Villa Berarii : La Chapelle-Saint-Mesmin.

Lorsque des religieux eurent la permission de s’installer dans un endroit : campagne ou ville, près du monde ou retiré, ils donnèrent le plus souvent un nouveau nom au lieu qui occupait une fonction précise dans leur ordre. Ainsi, La Couroirie, commune de Chemillé-sur-Indrois, Indre-et-Loire, s’appelait Crassay au Xe s. ; demeure du père courrier, procureur des chartreux, fonction équivalente au cellérier chez les bénédictins, le domaine prit le nom de correrie = lieu où habite le père courrier, qui évolua régulièrement en couroirie, plus conforme à sa nouvelle fonction.

Le domaine rural qui est à l’origine de la paroisse, prit parfois un nom de saint, puis celui du fondateur, comme le montre l’évolution du nom de la paroisse de la Chapelle-Vicomtesse. Son origine est la fondation du Prieuré Saint-Michel-des-Plains ; vers 1131, Haimericus Baufredus [de Bouffry], chevalier, et son frère Hugues, moine à l’abbaye de la Sainte-Trinité de Thiron, firent don à cette dernière du Beugnon ou vallon initial de la rivière de la Grenne, et de toute la terre qui y joignait, située aux Plains de Bouffry (Cartulaire de Thiron, charte 157) ; dans son principe, ce don était une augmentation des biens du prieuré des Fouteaux, fondé vers 1125, mais ces terres en étaient si éloignées et si importantes, qu’elles formèrent un nouvel établissement ecclésiastique qui prit le nom de Saint-Michel-des-Plains, comme Bois-Aubry à Luzé, Indre-et-Loire, prit le nom de Saint-Michel-de-Bois-Aubry ; vers 1133, Geoffroy, vicomte de Châteaudun, et sa femme Helvise, vicomtesse de Châteaudun, dame de Mondoubleau, prièrent l’abbé de Thiron d’établir un prieuré de leur obédience sur leurs propres terres en ce lieu, et pour cela lui donnèrent tout ce qu’ils avaient aux Plains de Bouffry et d’autres terres qui constituèrent le domaine du prieuré ; en 1133, l’accord entre les moines de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Thiron et les chanoines de la Madeleine de Châteaudun au sujet de l’église de Ruan, fixa les limites des paroisses de Ruan et de Bouffry, et de ce fait celles de La Chapelle-Vicomtesse (Cartulaire de Thiron, charte 186).
Vers 1140, Helvise, veuve, fit élever l’église du prieuré Saint-Michel, qui devint paroissiale, et qui prit pour la 1re fois le nom de Chapelle-Vicomtesse en 1204 (Cartulaire de Thiron), lors de la transaction qui se fit entre ces mêmes religieux au sujet des Chauvellières, sur le territoire de la paroisse de La Chapelle-Vicomtesse.
Ainsi, l’assiette définitive de la paroisse de La Chapelle-Vicomtesse se compose des terres du prieuré Saint-Michel démembrées du territoire de la paroisse de Bouffry, et de celles des Chauvellières démembrées de la paroisse de Choue.

Villa et paroisse.

Si la villa donna très souvent lieu à la création de la paroisse, quelques cas montrent qu’il y eut des solutions différentes. Les regroupements et divisions s’expliquent par l’implantation de l’habitat, plus dense près des axes de circulation, ou plus diffus loin de ceux-ci.
Voici quelques exemples.
La paroisse d’Esvres comprend le vicus d’Esvres, la villa de la Haute Cour et partie ou totalité de la villa de Forges où s’implanta le prieuré en limite des paroisses d’Athée-sur-Cher, d’Esvres et de Truyes. La villa Fontanas, dans la viguerie d’Esvres, inconnue après le XIe s., située au Sud d’Azay-sur-Cher ou aux confins d’Esvres et de Saint-Branchs, put être absorbée par l’une ou l’autre de ces paroisses.
La paroisse de Bournan regroupa les villae de Magdomus et de Chémely.
La paroisse de Chambourg-sur-Indre regroupa les villae de Chambourg et de Marray.
La paroisse de Ligueil se limitait à la villa. Sa grande taille provoqua un démembrement en plusieurs étapes. D’abord démembrée du territoire de Cussay, la paroisse de Ligueil conserva jusqu’en 1170 au moins le domaine de La Chapelle-Blanche (Papsturkunden in Frankreich, n° 138). La mention dès 862 de plusieurs chapelles sur le territoire de cette villa montre que le processus fut lent (Actes de Charles II le Chauve, n° 139).
La paroisse de Perrusson regroupa les villae de Perrusson et de Chanvre, et donna naissance à celle de Saint-Jean-sur-Indre.
La paroisse de Tauxigny regroupait les villae d’Aubigny, de Louans et de Tauxigny ; elle fut scindée en 2 paroisses, Louans obtenant son indépendance canonique, Aubigny et Tauxigny formant la nouvelle paroisse.
La paroisse de Truyes regroupa des villae de Fercé, des Quarts et de Truyes, dont l’église Saint-Martin de Truyes reçut les dîmes.
La paroisse de Veigné regroupait les villae de Veigné et de Baigneux ; son démembrement donna le jour à celle de Montbazon.
La villa de Courçay, cernée par le territoire du Vicus de Braye = Reignac, connu dès le Ve s., et par celui de 7 villae citées entre fin VIIIe et milieu Xe s., montre que la délimitation de la paroisse donna lieu à des ajustements mineurs aux limites de cette villa, sans regroupement ni démembrement connus.

Comme pour le regroupement des paroisses à partir de 1990, la desserte pastorale suit les besoins des hommes.

L’ambivalence du terme de villa dès le VIIIe s. trouve un écho dans la référence tardive et faible à la parrochia. Passées les 1res mentions de parrochia au Xe s., ce terme s’utilise régulièrement fin XIe s. La perception de la paroisse comme cadre géographique s’affirme alors que le réseau paroissial se resserre, sans pour autant devenir une pratique courante. Aux XIe et XIIe s., la localisation des biens se fonde sur la mention du nom de lieu, siège de paroisse ou non, ce qui correspond à un habitat plus fixé.
La désignation des personnes par l’adjonction d’un nom de lieu à leur nom en est un autre indice. Cette pratique devient plus fréquente à partir de 1030-1050 pour les villages qui sont déjà des centres paroissiaux comme pour les autres dont les noms apparaissent pour la 1re fois sous cette forme. Les noms de lieux utilisés correspondent ainsi au lieu d’habitation ou au nom de la paroisse, sans pouvoir comprendre pourquoi l’un ou l’autre sert pour désigner parfois la même personne. Les conclusions à en tirer restent délicates : Geoffroy d’Ainay peut désigner un habitant du bourg d’Ainay ou le seigneur, propriétaire du château d’Ainay.

Paroisse : chef-lieu et village.

Le passage d’ecclesie, détenues jusque vers 1050 par des seigneurs laïcs, aux mains de patrons religieux sous l’influence de la réforme grégorienne, eut des effets sur la promotion du lieu de l’église au rang de véritable village. Les chartes mentionnent, en même temps que la cession du sanctuaire et des droits religieux, celle de la terre proche où des cultivateurs ou hôtes peuvent s’installer, dans la seigneurie qui devient propriété de seigneurs religieux.
En 1090, la comtesse Eufronie remet à l’abbaye de la Trinité de Vendôme sa part de la Chapelle de Gâtineau, Capella Hugonis (Cartulaire de Vendôme, charte 334) ; outre l’habitation du moine, noyau du prieuré à venir, elle y laisse la terre pour qu’il accueille des hôtes autour se l’église. Si cette cession supprime la vicaria laïque et les taxes sur les maisons et les personnes, elle permet toujours aux habitants de cette terre privilégiée de devoir des droits seigneuriaux au généreux donateur pour leurs champs et pour l’usage des bois à proximité de ces maisons.
Ainsi, la restitution d’églises par des laïcs leur apporte parfois de nouveaux sujets à taxer et peut assurer la prééminence du centre de la paroisse sur les ville et les lieux-dits voisins, en zone périphérique anciennement peuplée, voire la pérennité de l’habitat en zone pionnière. Dans une certaine mesure, les donateurs font une bonne affaire. Le cas le plus spectaculaire est celui de la Chapelle de Montfollet, que les religieux de l’abbaye de la Trinité de Vendôme reçoivent de Raoul de Beaugency en 1085, pour la rebâtir en pierre et faire venir des hôtes dans le nouveau burgum, à 8 km environ au Nord de Boisseau, Loir-et-Cher ; c’est une véritable charte de coutume des hommes de ce bourg, qui ne doivent rien à Raoul, sinon la défense de son château contre une agression extérieure (Cartulaire de Vendôme, charte 324).
La réforme grégorienne contribua donc indirectement au renforcement du chef-lieu de la paroisse.

3 Implantation des prieurés et des couvents.

Dans la majorité des cas, la paroisse est 1re, connue dès avant le IXe s. : sur son territoire s’installe le prieuré et le couvent généralement fondés à partir du IXe s.
Le cas de Cormery, Indre-et-Loire, montre combien l’analyse peut être délicate. Situé sur les bords de la rivière de l’Indre, le nom Cormery suggère un habitat constant depuis l’époque gallo-romaine, sans préjuger d’un habitat celtique, voire préceltique, constant ou temporaire. L’acte de fondation de l’abbaye date de 791 (Cartulaire de Cormery, charte 1). La 1re mention écrite de l’église paroissiale Notre-Dame de Fougeray date de 1139 (Cartulaire de Cormery, charte 60). Bâtie à environ 250 m au Nord-Est de l’enclos de l’abbaye Saint-Paul de Cormery et sur ses terres, au début du plateau, elle se distingue du bourg, implanté au Sud-Est et face à l’abbaye, cité vers 1120 à l’occasion d’un conflit portant sur les coutumes (Cartulaire de Cormery, charte 57). Pourquoi ce laps de temps, d’autant plus incompréhensible que le cartulaire subsiste sans doute dans sa quasi totalité.
Plusieurs types de réponse sont possibles :
Les habitants de Cormery dépendaient de la paroisse de Truyes et la paroisse de Cormery, stricto sensu, est de création tardive.
La création du bourg face à l’abbaye aurait rendu nécessaire l’érection canonique de la paroisse et la construction de l’église.
La paroisse de Cormery existe, mais le cartulaire s’abstient d’en parler : les paroissiens et les moines entretenaient des rapports si harmonieux qu’il n’y avait pas matière ; la vie se déroulait comme une longue rivière tranquille sur les bords de l’Indre.
L’archéologie montre que le bâti de l’église est antérieure à la 1re mention écrite connue.
Si les raisons du silence resteront à jamais inconnues, une chose est certaine : en 791, l’abbaye Saint-Paul de Cormery s’implanta sur le territoire d’une paroisse. Qu’elle soit à l’origine ou non d’une nouvelle paroisse est un autre problème.
Une réalité s’impose : les paroissiens seront toujours plus nombreux et moins puissants que les moines.
De cette tension économique naissent les âpres discutions entre historiens.

Site urbain.

Les abbayes ou prieurés bénédictins qui sont à l’origine de la ville ou qui participèrent à leur formation, furent souvent implantées dans un milieu peu favorable, voire hostile.
L’abbaye Saint-Pierre de Vierzon se trouvait dans la partie marécageuse située entre les rivières de l’Yèvre et du Cher, près de leur confluent.
L’abbaye Saint-Sulpice, commune de Bourges, se trouvait dans la partie marécageuse des méandres des rivières de l’Yèvre, de l’Yèvrette et du Moulon.
L’abbaye de Saint-Père-en-Vallée, commune de Chartres, se situait dans un marécage, près de la rivière de l’Eure.
L’abbaye de Marmoutier, commune de Tours, fut fondée dans les méandres de la Loire, près du coteau :
3° Pendant quelque temps, il [Martin] habita donc une cellule attenante à l’église [épiscopale]. Puis, ne pouvant plus supporter d’être dérangé par ceux qui lui rendaient visite, il s’installa un ermitage à 2 milles environ hors les murs de la cité.
4° Cette retraite était si écartée qu’elle n’avait rien à envier à la solitude d’un désert. D’un côté, en effet, elle était entourée par la falaise à pic d’un mont élevé, et le reste du terrain était enfermé dans un léger méandre du fleuve de Loire ; il n’y avait qu’une seule voie d’accès, et encore fort étroite. Martin occupait une cellule construite en bois (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin. Chapitre 10. Traduction Jacques Fontaine).
L’abbaye Saint-Julien, commune de Tours, se situe dans la dépression du bord de Loire, entre 2 surélévations, les cités de Tours à l’Est, et de Saint-Martin à l’Ouest.
L’abbaye de la Trinité de Vendôme se situe dans les marécages que les bras du Loir sillonnent, au pied de la colline où s’élevait le château de Vendôme.

Souvent défavorables à l’origine, ces différents lieux se transformèrent en site d’une valeur exceptionnelle, prairie, verger, jardin, sous l’action directe ou indirecte des moines bénédictins.

Contrairement aux abbayes, la date de fondation des prieurés urbains est souvent inconnue ; leur existence s’impose lors d’un différent où le prieur agit comme acteur ou comme témoin.
Le prieuré de Tauxigny est connu comme déjà existant vers 1040, par la notice qui rapporte le différend qui opposa l’abbaye de Cormery à Archambauld de Braye ; ce dernier avait obtenu des moines qu’ils lui concèdent, pour sa vie durant, la terre et l’église de Saint-Bauld que son père Ulger, ancien doyen de Saint-Martin de Tours, avait tenu avant lui, et il s’était engagé à réparer l’église, à clore le bourg et à mettre le sol en culture ; mais Archambauld ayant négligé ses engagements, il en résulta un conflit.
Le prior de l’abbaye de Cormery, auquel il appartenait de veiller au patrimoine de la communauté, et le praepositus de Tauxigny reçoivent ordre de la communauté de faire respecter les termes de leur accord ou de faire rendre les biens. Le moine Isembardus, prévôt de Tauxigny, est un membre de la communauté placé à la tête d’une dépendance et a en charge la gestion du patrimoine de l’abbaye de Cormery dans le secteur de Tauxigny dont l’église de Saint-Bauld dépend (Cartulaire de Cormery, charte 33).
Implanté après le conflit qui opposa jusqu’en 1146 les moines de Cormery à Archambualt de Braye = Reignac-sur-Indre, au sujet de l’église paroissiale, (Dom Housseau, t. V, n° 1718), à 700 m du centre du bourg, en limite des zones urbanisée et rurale, la situation du prieuré de Saint-Bauld rend compte du statut incertain de l’église paroissiale.

Quand l’abbaye détient l’église paroissiale et le prieuré, ceux-ci sont toujours regroupé au chef-lieu de la paroisse.
Quand une abbaye détient l’église paroissiale et une autre le prieuré, ceux-ci sont toujours séparés : l’église au chef-lieu, le prieuré dans un écart.
Quand l’abbaye détient l’église paroissiale, objet de contestation, et le prieuré, l’église se trouve au chef-lieu et le prieuré en limite des zones urbanisée et rurale.

Site rural.

L’examen du site rural des fondations d’abbaye et de prieuré révèle aussi des tendances communes : il se situe toujours près d’un cours d’eau, à la limite de paroisses, là où, loin des villages et de leur ceinture de champs, s’étendaient des landes, des broussailles ou des taillis voués au pacage et à l’élevage extensif, comme l’abbaye cistercienne de Barzelle, entre le ruisseau de Barzelle et la rivière du Nahon.

Abbayes placées à la limite, au XIe s., de 2 des diocèses d’Orléans, de Bourges, de Chartres et de Tours :
- l’abbaye bénédictine de Saint-Benoît de Fleury est implantée à l’extrémité Est du territoire des Carnutes dont la capitale était Chartres, limitrophe des territoires des Senones, dont la capitale est Sens, à l’Est, des Aedui, dont la capitale est Autun, au Sud-Est, et des Bituriges, dont la capitale est Bourges, au Sud.
- l’abbaye cistercienne d’Aubignac se trouvait originellement à 10 km à l’intérieur du diocèse de Bourges, depuis 1790 à la limite des départements de la Creuse et de l’Indre.
- l’abbaye Notre-Dame-de-Fontgombault, commune de Fontgombault, Indre. Pierre de l’Étoile établit ses disciples à Fontgombault, diocèse de Bourges, à quelques mètres de celui de Poitiers.
- l’abbaye des prémontrés de l’Étoile, commune d’Authon, Loir-et-Cher, à la limite des diocèses de Chartres et de Tours.
- l’abbaye cistercienne Notre-Dame de la Cour-Dieu, commune d’Ingrannes, Loiret. A l’époque gauloise, limite entre les Senones et les Carnutes, limite naturelle, formée par la forêt d’Orléans ; après la conquête et le démembrement de la Civitas Carnutum, dont partie devint la Civitas Aurelianorum, la frontière Est resta naturellement identique.

Abbayes placées à la limite de 2 paroisses d’un même diocèse.
Les unes se situent à la frontière d’une zone historique d’influence. Des abbayes et des prieurés réguliers jalonnent au Sud d’Issoudun la zone frontière entre les Haut et Bas Berry, et qui devint celle départements du Cher et de l’Indre, définitivement établie en 1790 par les Constituants, à travers une zone de forêt et de landes parallèles à la vallée de l’Arnon, dans un ancien désert dont le peuplement fut toujours médiocre ; du Nord au Sud :
- l’abbaye cistercienne de La Prée, à la limite de celles de Mareuil-sur-Arnon, Cher, et de Ségry, Indre.
- l’abbaye vallombroisienne de Chezal-Benoît, à la limite des communes de Chezal-Benoît, Cher, et de Saint-Aubin, Indre.
- le prieuré fontevriste d’Orsan, à la limite de celles de Maisonnais, Cher, et de Vicq-Exemplet, Indre.
- le prieuré grandmontain de Peutilloux, à la limite de celles de Châteaumeillant et de Saint-Jeanvrin, Cher.
- l’abbaye cistercienne des Pierres, à la limite de celles de Sidiailles et de Saint-Saturnin, Cher.
D’autres se situent en limite de commune, sans raison apparente :
- l’abbaye cistercienne d’Olivet, à la limite des communes de Saint-Loup-sur-Cher et de Saint-Julien-sur-Cher, Loir-et-Cher.
- l’abbaye cistercienne de Baugerais, commune de Loché-sur-Indrois, sur la paroisse d’Aubigny, à la limite de celles d’Aubigny [Loché-sur-Indrois], de Vitray [Saint-Hippolyte], et de Villedômain, diocèse de Tours, Indre-et-Loire, et de Saint-Médard, Indre, diocèse de Bourges.
- l’abbaye cistercienne de La Clarté-Dieu, à la limite de celles de Saint-Aubin-le-Dépeint, de Saint-Christophe-sur-le-Nais et de Saint-Paterne-Racan, Indre-et-Loire.
- l’abbaye cistercienne du Landais à celles de Saint-Martin-de-Lamps et de Frédille, Indre.
- l’abbaye de chanoines de l’ordre de Saint-Augustin de La Vernusse, à la limite de celles de Bagneux et de Saint-Christophe-en-Bazelle, Indre,
- l’abbaye de chanoines de l’ordre de Saint-Augustin d’Aigues-Vives, à celles de Faverolles-sur-Cher, Loir-et-Cher, et de Céré-la-Ronde, Indre-et-Loire, diocèse de Tours.
- l’abbaye de chanoines de l’ordre de Saint-Augustin de Miseray, à celles d’Heugnes et de Jeu-Maloches, Indre.
- l’abbaye fontevriste de Glatigny à la limite de celles de Chabris et de Dun-le-Poëlier, Indre.
- le prieuré fontevriste de Jarzay, à la limite de celles de Baudres et de Moulins-sur-Céphons, Indre.
- le prieuré Notre-Dame de l’Encloître. Prieuré régulier fontevriste, fondé vers 1103 par Léon de Langeais, en limite des paroisses de Rouziers-de-Touraine et de Beaumont-la-Ronce, Indre-et-Loire.
- le prieuré Saint-Nicolas de Villeberfol. Commune de Conan. Prieuré régulier fondé au XIe s., puis simple, dépendant des bénédictins de l’abbaye de Marmoutier, situé en limite des pagi de Vendôme (Cartulaire Dunois de Marmoutier, charte 107, 115) et de Blois. L’installation des moines de Marmoutier pourrait aussi s’interpréter comme la neutralisation d’une zone stratégique.
- l’abbaye Saint-Michel de Bois-Aubry. Commune de Luzé. Prieuré, puis abbaye, fille de l’abbaye bénédictine de Thiron, Eure-et-Loire, fondé à la limite des paroisses de Luzé et de Ponçay [commune de Marigny-Marmande].
- Le prieuré Notre-Dame-de-Boulogne. Commune de Tour-en-Sologne. Prieuré grandmontain. Défrichement de la forêt de Boulogne.

Parmi ces monastères, quelques uns se trouvent depuis le XVIe s. au bord de massifs forestiers ; lors de leur fondation, ils devaient se situer à l’intérieur de ces mêmes massifs, et les frères convers, aidés des serviteurs et des tenanciers des religieux, durent faire reculer ces bois :
l’abbaye de Loroy en bordure de la forêt de Saint-Palais,
l'abbaye de Fontmorigny de celle d’Aubigny ;
l'abbaye de Chezal-Benoît de celle de Cheurs, partie du massif forestier plus vaste qui comprend la forêt de Bommiers, les bois de Châtin, de la Beauce, des Rauches et de Malvève ;
l’abbaye Notre-Dame de Baugerais, commune de Loché-sur-Indrois, d’abord collégiale de chanoines réguliers fondée en 1153, puis abbaye de l’ordre de Cîteaux en 1172, fondée par Henri II, roi d’Angleterre, se situait dans la forêt de Loches, au milieu d’un bois qui porte son nom depuis le XVIe s. ;
l’abbaye Notre-Dame de la Cour-Dieu dans la forêt d’Orléans.
Au centre du Val Horrible, l’abbaye des Pierres se trouvait dans un site si défavorisé que son emplacement fut abandonné et que la végétation en recouvre progressivement les vestiges depuis la fin du XVIIIe s.

Un type de site attira particulièrement les nouveaux moines : le pied du coteau bordant la vallée, mais le plus souvent ils se fixèrent sur le mauvais versant, celui dont l’exposition interdit toute plantation de vigne et qui reste recouvert de broussailles ou de bois taillis, au contact des bois et des prairies marécageuses remplies de roseaux.
Ainsi les abbayes de Longefont et d’Olivet, au rebord des vallées de la Creuse et du Cher. Au pied du flanc Nord de la vallée du Cher, l’abbaye de Noirlac s’inscrit dans un site plus favorable, mais le coteau qui la domine est recouvert des bois de Meillant et de Culan. Les abbayes de La Prée sur la rivière de l’Arnon et de Chalivoy sur celle de la Vauvise, sont dans une position semblable.

Dans ces 2 cas, ce site a 2 points communs : la forêt et le ruisseau qui permet une implantation durable ; le plus souvent, l’abbaye occupe un site déjà occupé d’une façon continue ou par période.
Installés dans ces sites, les moines durent défricher les landes et les bois qui les isolaient ou les dominaient, puis drainer les marécages qui s’étendaient au pied de leur bâtiment claustral, sous peine de voir dépérir rapidement leur fondation. Ce travail ne laissa pas toujours de traces dans le paysage connu par le 1er plan cadastral, dit de Napoléon, car d’autres défrichements rejoignirent le leur, et les traces des landes et des bois qui entouraient leur solitude a le plus souvent disparu. Il subsiste cependant un exemple typique d’une vaste clairière due à ces religieux : l’abbaye de Chezal-Benoît reste le centre d’une plaine cultivée presque entièrement entourée de bois.

Des chartes confirment l’étude des cartes de Cassini et de l’I.G.N., et les indications fournies par l’examen du paysage : les moines firent défricher des terres jusque là incultes.
Les ermites de Miseray qui s’installèrent dans la forêt de Heugnes, sur les terres du seigneur de Buzançais, obtinrent qu’il leur cédât le lieu où ils avaient édifié leur installation provisoire et la terre environnante qu’ils travaillaient et qu’ils ensemençaient (Gallia Christiana, t. II, Instrumenta, n° 61). De même, Ebbes de Charenton autorisa les cisterciens de Noirlac à défricher une partie de la forêt de Grosbois (A.D. 18-8 H 5, n° 1). En 1133, Julien et les ermites de Chalivoy obtinrent le droit de mettre en culture les landes qui entouraient leur ermitage (Gallia Christiana, t. II, Instrumenta, n° 63). Vers 1160, les cisterciens qui les remplacèrent, se firent octroyer par Renaud de Montfaucon 5 arpents de terre de parcours pour les troupeaux, afin de les mettre en prés (A.D. 18-5 H 29, n° 4). Pierre Le Noir autorisa les moines de Chezal-Benoît à défricher et à cultiver la terre de Souffaignes (A.D. 18-H 134, n° 1). Le pape Eugène III confirma aux moines de Barzelles la possession des terres et des prés qu’ils avaient gagnés sur la forêt de Gastine, qui s’étendaient alors sur les communes de Fontguenand, Valençay et Villentrois, Indre (A.D. 36-H 5). Les Hospitaliers de Villefranche-sur-Cher mirent en valeur des friches et des marécages le long de la route de Romorantin à Langon et à Port-Martin (A.D. 69-48 H 3337, n° 2).

Tous ces monastères se trouvèrent parfois dans l’impossibilité de mettre ces défrichages de landes et de forêt en culture : sur ces terres imperméables qui recouvraient le Berry, la Brenne, la Sologne et la Touraine, la création de l’étang fut aussi une meilleure mise en valeur du sol et leur offrait un rapport plus fructueux ; ils constituaient de plus des viviers et des réserves d’eau pour les animaux. Grâce à lui, le seigneur-moine put organiser tout un système d’irrigation et des biefs de moulin à eau. Vers 1115, les moines de Chezal-Benoît obtinrent le droit de créer un étang et d’établir un moulin sur les terres de Jean Le Noir (B.N.-Ms Latin 12.744, Chronicon Casalense, p. 38). Les augustins de Miseray obtinrent de Pierre Museau les terres nécessaires pour en établir un à Flote (A.D. 36-H 334). Le commandeur de Villefranche-sur-Cher se fit céder des terrains qu’il avait l’intention de mettre en eau ; mais Hervé Guitier se méfia et interdit que le nouvel étang chassât les paysans installés sur ses terres ; pour ce, il fit préciser que l’étang devait s’établir loin de leurs maisons et laisser libre le chemin qui y menait (A.D. 36-H 705).

Ces moines durent créer assez loin de leur abbaye une petite exploitation où certains d’entre eux purent s’établir sous forme de prieuré conventuel ; les moines de Fontgombault auraient été les premiers habitants de Villesalem en Poitou ; ceux d’Olivet créèrent des prés entre La Ferté-Gilbert et Diou (A.D. 36-H 993).

Le prieuré de Vontes.
Sa situation au bord de la rivière de l’Indre, en limite de commune, reste favorable pour l’isolement et le bien-être. En 1070, l’abbaye de Cormery reçoit du comte Foulques le Réchin, avec l’autorisation de son frère Hugues, la villa et l’église de Vontes, libres de coutumes, avec les bois, terres et vigne (Cartulaire de Cormery, charte 41). La Vita de saint Léothry, décédé le 14 septembre 1099 (Acta Sanctorum, saec. VI-2, p. 905, résumé de Joachim Périon), rapporte que ce saint mena une vie dermite avant d’arriver à l’abbaye de Cormery, dont il devint l’aumônier, avant de reprendre sa vie d’ermite et de s’installer à Vontes. La fondation du prieuré doit donc se situer entre la donation et l’arrivé du saint ermite.

Le nombre de chartes qui autorisent expressément les moines à défricher ou qui prouvent qu’ils se livrèrent à ces travaux, reste faible. En opposition formelle avec l’esprit de saint Bernard, leur fondateur, les abbayes cisterciennes durent posséder dès le XIIe s. un certain nombre de granges, dues sans doute à des défrichements antérieurs, mais les preuves manquent ; et d’autres durent s’établir sur des terres en plein rapport, car très vite ces abbayes acquirent rentes et dîmes au lieu de se contenter des fruits de la terre, s’écartant ainsi de leur idéal. Ainsi, l’abbaye de Noirlac paraît avoir négligé les terres à céréales dès sa création, au profit de la vigne et des prairies. Aussi, les archives conservent-elles plus de chartes qui se rapportent à des défrichements sur les domaines d’abbayes de type Cluny ou bénédictins traditionnels comme Cormery, que sur les terres des établissements nouveaux : cette abondance relative doit correspondre en partie à une différence de gestion. Les terres défrichées par les ermites et les moines blancs ou cisterciens restaient en faire-valoir direct et les droits des défricheurs étaient peu contestables ; aussi n’existe-t-il pour ces terres ni actes d’acensement ni concession et peu de procès s’élevèrent à leur sujet ; or ces actes sont la seule source pour connaître la vie rurale.
Cependant l’analyse du paysage confirme la première impression : la majorité des abbayes se trouvent aujourd’hui au milieu de petites clairières dont les dimensions correspondent approximativement à celles des exploitations sur le 1er cadastre dit de Napoléon, comme l’abbaye de l’Aumône ou du Petit-Cîteaux (41), fondée dans la forêt de Marchenoir, même si le site empêchait un plus grand développement, comme à Noirlac (18), Olivet (41) ou Les Pierres (18), toujours sans être le cas, comme à Barzelle (36), La Prée (36) ou au Landais (36).
Dans le grand mouvement d’extension des labours, fait marquant de cette époque, l’œuvre de moines reste donc secondaire. La raison fondamentale, sinon unique doit se rechercher dans leur petit nombre.

Échec de la fondation.

Aucun échec de fondation n’est connu pour les abbayes, et quelques cas seulement pour les prieurés.
Prieuré des Granges. Commune de Sorigny.
La notice du cartulaire de Noyers relate la donation faite par Hugues de Pocé, seigneur de Montbazon, et ses frères Geoffroy et Girard :
1089. Dederunt de terra quae dicitur Rivus Petrosus in loco qui dicitur ad Grangias, tantum terrae quantum possunt quatuor boves omnibus temporibus excolere, et ad hibernalia et aestivalia, et quatuor arpennos terrae ad domos monachorum aedificandas, et burgum faciendum (Cartulaire de Noyers, charte 184). Il s’agit d’un projet de fondation conjointe, un prieuré, domos monachorum, et un bourg, burgum faciendum. Comme ce lieu est inconnu du cartulaire par la suite, le prieuré et le bourg purent avoir un début de réalisation, ou restèrent à l’état de projet, sans suite.