Écrit par Denis Jeanson le . Publié dans introduction

08paysage rural. XIe-XIIIe s.

VIII Paysage rural. XIe-XIIIe s.


L’opposition entre les monastères bénédictins dont l’origine est antérieure au Xe s. et ceux des réformes religieuses du XIe s. qui recherchent l’isolement et la pauvreté, est l’aspect religieux d’un phénomène plus général. Les cadres ruraux qui dataient de la villa gallo-romaine, mérovingienne et carolingienne, éclatèrent. Une population plus nombreuse bénéficia sans doute d’une révolution technologique qui créa des instruments aratoires plus perfectionnés, et prit possession de sols jusque là laissés à la végétation naturelle : lande, broussaille et forêt reculèrent au profit du champ, de la prairie, de la vigne et du jardin, connu sous le nom de chènevière, de closeau, ou d’ouche selon les régions. Si les nouveaux centres de peuplement apparaissent peu nombreux au XIe s., le paysage se modifia : les emblavures augmentent et s’amplifient.

En Région Centre, avec ses grands équilibres naturelles très dissemblables, il revêtit 2 formes principales : l’assolement biennal et triennal, qui aboutit à 3 types de paysages :
- le champ ouvert,
- le bocage ou champ fermé de haies vives, mortes ou de fossés,
- la champagne ou gâtine.

Ce grand mouvement de mise en valeur du sol, jusque là peu utilisé, fut l’œuvre de toute la population : clerc, seigneur, bourgeois et paysan y participèrent, chacun selon son caractère social et ses possibilités. Les religieux défricheurs furent sans doute une minorité, mais l’abondance des documents conservés dans leurs abbayes contraste singulièrement avec les autres sources, chartrier et terrier pour le seigneur, minute notariale pour le bourgeois et pour le paysans, que leur oeuvre apparaît en pleine lumière alors que celle de leurs contemporains laïcs reste dans l’ombre.

Au XVIIIe s., les physiocrates distinguaient les pays de grande culture et ceux de petite culture. Si cette distinction convient parfaitement à cette époque pour analyser les terroirs, il se trouve qu’au XIIe-XIIIe s., tous ceux de la Région Centre avaient un point commun. En Beauce, comme en Champagne Berrichonne et en Gâtine Tourangelle, l’unité d’assolement obligatoire se constituait, non pas de grandes saisons, au nombre de 3 ou de 6, 2 groupes de 3, dans chaque terroir correspondant et réunissant chacune plusieurs champtiers ou quartiers, mais, tout au contraire, de quartier ou de champtier unique ; chaque parcelle en lanière en Beauce ou dans le Gâtinais de l’Ouest, plus ou moins oblongue dans les autres régions, formait l’unité d’assolement, indépendant des parcelles voisines. Il y a donc continuité dans la forme d’exploitation et rupture dans la forme de la parcelle. Si l’explication certaine manque pour analyser ce phénomène, l’hypothèse la plus vraisemblable est que dans toute la région, le défrichement se serait réalisé lentement, par étapes, au fur et à mesure de l’installation de petites colonies de peuplement, sans doute famille par famille. Mais alors pourquoi l’importance de la communauté taisible en Berry et de la frêche en Touraine qui suppose une certaine organisation communautaire des habitants de ces régions ?

Entre 1200 et 1250, l’économie de ces régions naturelles évolua dans la même direction qu’au XIIe s. : elle reste avant tout agricole et leur prospérité dépend presque uniquement de la terre. Durant les XIe et XIIe s., des efforts considérables furent faits pour obtenir davantage du sol, ne fut-ce qu’en cultivant des surfaces jusque là retournées à la végétation naturelle et vouées à l’élevage extensif ; mais ces grandes étendues peu productives ne restèrent jamais complètement en marge de la vie rurale : à moins de modifier radicalement les techniques de l’élevage, ce qui n’eut pas lieu, le paysan en avait besoin. L’augmentation de la population, l’extension même des défrichements donnèrent alors à ces terres une valeur supplémentaire et, vers 1250, de nombreux maîtres du sol, qui en furent conscients, s’efforcèrent parfois de les protéger. Il s’en suivit vers 1240-1260, non pas l’arrêt, mais le ralentissement des grands défrichements ; ces propriétaires mesurèrent mieux alors la valeur du sol et cherchèrent souvent à en obtenir le maximum de rendement. Mais toutes ces terres n’ont pas, hier, aujourd’hui et demain, les mêmes aptitudes et les paysans du XIIe et du XIIIe s. le savaient tout aussi bien que ceux du XXe. Pour une région aussi vaste que ces anciens pagi, il serait donc possible de dresser un véritable tableau géographique des productions agricoles à partir des toponymes.

Défrichement à caractère religieux.

L’opposition entre les défrichements des clercs et des laïcs est aussi factice que commode, car les clercs dirigèrent ces travaux en tant que seigneur temporel du lieu et agirent donc comme tout seigneur laïc, son contemporain, avec le même souci de rentabilité et de jouissance de ses biens ; ainsi les vieilles abbayes bénédictines plus ou moins rattachées à celle de Cluny, les petites collégiales castrales qui recherchent seulement par le défrichement à augmenter leur revenu, les nouveaux ordres religieux et les seigneurs laïcs profitent d’une même situation démographique et économique. Parmi ces abbayes, Saint-Florentin de Bonneval, Saint-Paul de Cormery, Notre-Dame de Déols, Marmoutier, Notre-Dame de Pontlevoy, Saint-Sulpice de Bourges, Saint-Julien de Tours, ou Saint-Pierre de Vierzon possédaient des terres, fiefs et seigneuries bien avant cette époque, comme en témoignent leurs cartulaires. Inversement, des laïcs travaillaient pour des clercs ou se regroupèrent autour du monastère ou de la collégiale : leur défrichement suivait l’impulsion donnée par les chanoines et les moines, et prolongeait leur oeuvre.
Mais les motifs changent au XIIe s. Parmi les clercs, certains firent oeuvre de défricheurs pour des motifs purement religieux : désir de pauvreté et soif d’austérité les amenèrent à fuir la ville et à se fixer loin de toute agglomération, le plus souvent dans des régions boisées. D’où cette floraison de monastères cisterciens ou vallombrosiens, collégiales d’Augustins et de Grandmontains, prieurés fontevristes. Si les régions de grande culture en sont totalement dépourvues, comme la Beauce chartraine et orléanaise, des régions de petite culture en sont aussi presque totalement dépourvue comme la Brenne, la Champagne berrichonne, le Perche et la Sologne, alors que 4 des plus pauvres d’entre elles en présentent une assez forte densité.

Champagne berrichonne.

Cette région présente une fondation : la collégiale de Plaimpied, due à Richard II, archevêque de Bourges (1071-1093). Parmi toutes les fondations, elle est l’établissement de plus proche du type traditionnel, car en la fondant, Richard II entendait pouvoir compter sur ces chanoines pour jouer un rôle de formation à l’intérieur du clergé de son diocèse. Ainsi, lors de l’application de la réforme grégorienne, elle reçut 23 paroisses en patronat dès 1110, soustraits aux seigneurs laïcs, anciens propriétaires, alors que les abbayes cisterciennes et fontevristes n’en obtinrent aucun.
La région naturelle de la Champagne berrichonne fut délimitée par arrêté ministériel du 13 janvier 1964.

Boischaut Sud.

Aux confins des diocèses de Bourges et de Limoges, sur les premières pentes du Massif Central, se trouvent 2 abbayes cisterciennes : Aubignac et La Colombe, un prieuré de Grandmont : Le Châtaignier, et les dépendances berrichonnes du prieuré d’Aureil. En fait, 2 régions comparables : terres lourdes, difficiles à travailler et peu productives, où il restait encore beaucoup de friches, sinon des massifs forestiers, véritable désert-frontière, qui dès l’antiquité servit de limites entre les cités des Turones, des Cenomanes, des Bituriges-Cubi et des Lemovices. L’abbaye de La Colombe s’établit au cœur même de ce désert frontière, puisque la limite qui séparait les 2 diocèses de Bourges et de Limoges passait à l’intérieur des bâtiments claustraux : l’église se trouvait sur le diocèse de Limoges et le reste sur celui de Bourges. Les landes de cette région furent en partie défrichées depuis, mais les cisterciens firent là figurent de pionniers.
La densité des exploitations rurales autour de cette limite fut toujours plus faible que dans son environnement immédiat, et la toponymie montre que beaucoup résultent d’implantations postérieures à l’établissement des moines.
La région naturelle du Boischaut Sud fut délimitée par arrêté ministériel du 13 janvier 1964.

Boischaut Nord.

Sur le plan féodal, cette région voyait s’imbriquer de façon étrange des terres mouvantes de seigneuries diverses : l’Anjou, Blois et Déols. Là se trouvaient réunis les augustins de Miseray, les fontevristes de Glatigny, les cisterciens du Landais, de Barzelle et de Varennes, les grandmontains de Fontblanche sur les limites des communes de Maray et de Genouilly ; en Loir-et-Cher, sur les rives du Cher, les cisterciens d’Olivet, commune de Saint-Loup-sur-Cher. Il s’agit de terre ingrate où subsistent encore des terres inoccupées.
La région naturelle du Boischaut Nord ou Gâtines de l’Indre fut délimitée par arrêté ministériel du 13 janvier 1964.

Terres Fortes.

Les ermites d’Achères et les cisterciens de Loroy, quand ils se fixèrent à la lisière de la forêt de Saint-Palais, s’établirent eux aussi dans une région limite pauvre. Il en fut de même pour les cisterciens de Fontmorigny, installés sur les collines boisées qui dominent la vallée de l’Aubois, à la limite des diocèses de Bourges et de Nevers, sur la commune de Cours-les-Barres, à la limite de celles de Patinges et de Menetou-Couture. La limite des 2 cités gallo-romaines suivaient d’ailleurs dans cette région les massifs forestiers qui dominent le Val de Loire à quelques km à l’Ouest de la Loire.

Orléanais.

Les fondations d'abbaye furent plus noires, bénédictins, que blanches, cisterciennes.

En Val d'Orléans ou de Loire.
Abbaye Notre-Dame-de-Beaugency. Cne de Beaugency. Chanoines réguliers de Saint-Augustin.
Abbaye de bénédictins de Saint-Benoît-de-Fleury. Cne de Saint-Benoît-sur-Loire. Le cartulaire est peu bavard sur ces nouvelles terres mises en valeur par les tenanciers de l’abbaye.
Abbaye Saint-Euverte. Cne d'Orléans. Chanoines réguliers de Saint-Augustin.
Abbaye Saint-Loup-lez-Orléans. Cne de Saint-Jean-de-Braye. Religieuses chanoinesses.
Abbaye de bénédictins Saint-Mesmin-de-Micy-lez-Orléans. Cne de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin et Saint-Hilaire-Saint-Mesmin.
Abbaye de cisterciennes de Notre-Dame-de-Voisins. Cne de Saint-Ay.
Depuis longtemps peuplé, le Val de Loire ne connut pas de défrichement majeur à partir du IIe s.

En Forêt d'Orléans.
Abbaye de cisterciens de Notre-Dame-de-la-Cour-Dieu. Cne d'Ingrannes. Les défrichements que firent ou firent faire les religieux, se reconnaissent aux clairières.

En Gâtinais de l'Est.
Abbaye de bénédictins de Saint-Pierre-et-Saint-Paul-de-Ferrières. Cne de Ferrières.
Abbaye de cisterciens de Fontaine-Jean. Cne de Saint-Maurice-sur-Aveyron. De ce site peu favorable, les cisterciens durent réaliser de nombreux défrichements pour obtenir des rapports presque identiques à ceux obtenus dans le Gâtinais de l'Ouest, voisin.
L'Abbaye de religieuses bénédictines de-Rozoy-le-Jeune, Cne d'Ervauville, précédemment à Rozoy-le-Vieil, est tardive dans sa fondation et joua un fort petit rôle dans la transformation du paysage rural.

Cette situation est à comparer avec celle du diocèse de Bourges, où les fondations monastiques explosèrent, parce que le terrain peu peuplé s'y prêtait. L'Orléanais a toujours était une région favorisée par la Loire.

Gâtine vendômoise.

Ce paysage présente 3 caractéristiques.

- La délimitation des terres s’appuie sur des repères humains et des limites naturelles. Au Sentier et à Monthodon, Indre-et-Loire, l’abbaye de Marmoutier récupère une partie du manse Aldevin, dit terre d’entre Glaise et Rondy, bras de la rivière de la Bransle, inter Glandessam et Gubernessam (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 37, 117) ; cette abbaye s’approprie des arpents de pré et des pêcheries sur les rives de ces rivières. En 1055, Geoffroy Martel restitue une terre limitée par ces 2 rivières et par une série de fontaines, d’où s’écoulent des ruisseaux affluents (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 117) ; et 2 fontaines proches l’une de l’autre portent le nom de Fontaine du Hêtre. La surface des terres qui font l’objet des chartes, semble importante : celle de Lisoie Jeusa contient 11 mansuras (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 120), alors que les plus fortes transactions portent sur 5 mansuras en Beauce et dans le Val du Loir ; celle que Garin de Marray cède à l’abbaye de la Trinité de Vendôme, représente 4 quarts (Cartulaire de Vendôme, charte 82, 83), soit environ 240 arpents ou 160 ha. De telles surfaces pour une terre restent inconnues en Beauce et dans le Val de Loir. Ce qui suggère une culture extensive, une faible densité d’exploitation et une faible occupation humaine.

- Le système paroissial est peu rigoureux. Aux Pins, commune d’Épeigné-sur-Dême, Indre-et-Loire, apparaît une ecclesia vers 1050 (Cartulaire de Vendôme, charte 7), où il n’y a pas de paroisse. Ainsi, la paroisse d’Épeigné-sur-Dême, diocèse du Mans, comprend 2 saillants : Les Pins et Rorthe, tous 2 évoqués comme des exempla au XIe s., perdus par l’abbaye de la Trinité de Vendôme en dépit de ses revendications, et sites féodaux importants aux XIIIe et XIVe s. A Villedieu-le-Château, Loir-et-Cher, future paroisse, Geoffroi Martel y fait édifier une capella vers 1050 (Cartulaire de Vendôme, charte 14). Dans la Gâtine, l’essart rend irrégulier les frontières paroissiales.
La Chapelle de Gâtineau, acquise par l’abbaye de la Trinité de Vendôme en 1090 (Charte 324), a l’air d’une église, comme une autre : dîme, sépulture et presbiterium ; cependant, elle deviendra paroisse en 1185-1188 (Cartulaire de Vendôme, charte 591). Aux Hermites, Indre-et-Loire, les textes disent ecclesiola en 1040 (Cartulaire de Vendôme, charte 35), puis ecclesia en 1092 (Cartulaire de Vendôme, charte 341). Au Sentier, commune de Monthodon, Indre-et-Loire, capella (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 47, 48, 118) est aussi employé qu’ecclesia (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 42, 49, 51), en concurrence avec ecclesiola (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 120). Ces changements de titre purent coïncider avec des élévations au rang de paroisse, suite à un événement important : création d’un prieuré, augmentation de population, etc. En Val de Loir et en Beauce, les églises semblent avoir été créées avec des prérogatives plus stables, situées en des lieux déjà permanents d’habitat et d’agriculture.

- Les lieux-dits connus dans les chartes du Xe au XIIe s., se retrouvent difficilement dans les textes postérieurs à 1500 : Lischericum (Cartulaire de Vendôme, charte 52) ; Locus quod dicitur ad Puteum Chornochoel (Cartulaire de Vendôme, charte 1) ; Stagnum (Cartulaire de Vendôme, charte 35) ; Villa Inventa (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 50) ; Villa Reperta (Cartulaire Vendômois de Marmoutier, charte 121). L’habitat de la Gâtine, avec ses métairies et ses closeries éparses, devait exister comme tel dès le XIe s., mais sous d’autres noms et peut-être d’autres implantations. L’implantation de l’habitat est donc instable et doit suivre les possibilités économiques : terre pour la production et chemin pour le commerce.

Tous ces textes distinguent la terra vetus des exampla : le défrichement qui bat son plein début XIe s., surprend la vigilance des comtes de Vendôme. Mais les invasores qu’ils veulent reprendre en main et face auxquels les moines de l’abbaye de la Trinité de Vendôme se défendent dès la mort du comte Geoffroi Martel, sont de petites milites : parsemée d’églises et de chapelles seigneuriales, la Gâtine reste un terrain aussi seigneurial que les autres : les étendues en friche ont un possesseur noble, clerc ou laïc, et servent aux inféodations. Les abbayes de Marmoutier et de la Trinité de Vendôme retrouvent leurs anciennes possession ou arrivent dans de nouvelles, alors que l’essartage bat son plein. D’ailleurs la terra vetus s’exploitait selon le même mode d’occupation des sols que les exampla, par villa disjointes, qui convenait à ce terrain. Reste à savoir si ces défrichements rapportés par les notices de ces 2 abbayes furent de francs succès, là où l’effort de 1764 échoua. Il y a ici de la terre gaste, déserte, certes, mais pas de désert.

La Touraine.

Elle vit se fonder 3 prieurés de l’ordre de Grandmont et 4 abbayes cisterciennes, dans des sites qui apparaissent encore sauvages au XXIe s., tels le prieuré grandmontain de Villiers, commune de Villeloin-Coulangé, ou l’abbaye cistercienne de la Clarté-Dieu, commune de Saint-Paterne-Racan.

Un témoignage tardif montre la vitalité de ce type de défrichement. En 1226, dans la forêt de Chénevose, près du prieuré de Berneçay, dépendant des bénédictins de l’abbaye de Marmoutier, commune de Saint-Quentin-sur-Indrois.
Dreux de Mello, seigneur de Loches, confirme aux moines du prieuré de Berneçay la propriété d’une portion de bois qui jouxte la terre, propriété des chanoines de Saint-Martin de Tours. Dreux de Mello retient les droits de péage des voies nouvellement bâties pour desservir cette terre récemment mise en culture, et non de continuation ou de la reprise de défrichements antérieurs :
Terram etiam ejusdem nemoris quam dicebam esse meam eisem quitavi que contigua est terre canonicorum Beati Martini versus villam Berneçay et ab ipsa terra canonicorum prout mare posite sunt usque ad Estivallum et strata ejusdem prioratus monachis remanerit libere et quiete exceptis illis quarum nomina sub inferuntur : strata quae ducit de Genilliaco usque ad Sanctum Quintinum, strata que ducit de vado de Berneçay ad Montem Trichardi et de eodem vado ad Ambaziam, strata que ducit de Orbegniaco et de Legio ad Cheriguein, strata que ducit de Ruello de Estivallo ad viam de ferriis ad prata et de pratis ad pontem Berneçay et ad pontem Sancti Quentini, sunt pedagiales omnes strate que de novo facta sunt propter terram de novo ad culturam redactam (Dom Housseau, t. VI, n° 2641).
Une large surface du territoire de la forêt de Chénevose, déjà défriché, est sillonnée de voies que 2 ponts un gué prolongent pour franchir la rivière de l’Indrois. Défriché ou mis en culture dès le IXe s., sur le territoire d’Hys, commune de Genillé, en 1226 il reste donc des lambeaux de ce massif boisé. Les moines de l’abbaye de Marmoutier qui reçurent cette forêt du comte de Loches en 1085 (Dom Housseau, t. III, n° 881), eurent donc un rôle particulièrement actif dans sa mise en valeur, à côté de ceux de l’abbaye de Villeloin établis dans le prieuré d’Hys.

Forêt de Bréchenay.
Dès 1123 (Cartulaire de Cormery, charte 55), les conflits qu’engendrent son exploitation sont visibles entre le seigneur de Montbazon, le comte d’Anjou lui-même, et l’abbaye de Cormery : le différent porte sur une terre proche de Veigné. De petites portions de cette forêt apparaissent au XIIIe s. : en 1234, le bois de 3 ou 4 arpents qui jouxte la chapelle Saint-Laurent (Cartulaire de Beaumont-lès-Tours, p. 19-20), alors que sur le cadastre ce nom, joint à celui de Sainte-Apolline désigne le bois commun aux communes de Chambray-lès-Tours et de Veigné, dont la limite communal suit pour l’essentiel le ruisseau qui se jette dans la rivière de l’Indre. En 1257, l’accord entre Pierre Savary, seigneur de Montbazon, et l’abbaye de Cormery porte sur le bois de Meteer ; le 1er y possède le droit de segreagium et les prieurés de Forges, de Truyes, de Veigné et de Vontes y prélèvent le bois de construction et de chauffage qui leur est nécessaire (Cartulaire de Cormery, charte 95). Ce différend porte sur leurs bois contigus, bornés en 1524 ; chacune des parties possédait 974 arpents. En 1540, les moines de Cormery donnèrent à rente annuelle et perpétuelle 200 arpents de leur forêt de Bréchenay à 4 bourgeois de Tours, qui y créèrent 4 métairies entre Azay-sur-Cher et Truyes ; le déboisement de cet forêt se poursuivit donc sur plusieurs siècles. Les surfaces boisées qui s’étendent sur les commune d’Esvres et de Veigné, sur les cadastres Napoléon et rénové, témoignent de l’ancienne extension de cette forêt.

Forêt de Chénevose.
Cette forêt prolongeait vers le Sud-Est la forêt de Bréchenay. Le comte Foulques le Réchin en donna la moitié, puis la totalité en 1085, libre de toute coutume, à l’abbaye de Marmoutier (Dom Housseau, III, n° 881). Si l’acte de donation de 1085 laisse vague les limites de ce massif forestier, sa localisation ressort des actes postérieurs. En 1136, le conflit qui oppose les moines du prieuré de Berneçay aux forestiers du comte d’Anjou, au sujet des droits d’usage, constitue un 1er indice, confirmé par l’acte de Dreux de Mello, seigneur de Loches, de 1226. Rappelant la donation comtale antérieure, il renonce à percevoir des coutumes, mais conserve les péages d’un certain nombre de voies dont l’énumération ne précise pas les contours de la forêt, certes, mais leur point de départ localise le noyau forestier autour de Berneçay, Genillé et Saint-Quentin-sur-Indrois (Dom Housseau, VI, n° 2641). Les bois situés au Nord de la rivière de l’Indrois, de Chédigny au Liège où le bois de Biard est cité en 1228 (Cartulaire de Villeloin, n° 129, en passant par Reignac-sur-Indre et plus au Nord en direction de Luzillé, faisaient partie de la forêt de Chénevose.

Forêt de Chédon.
Aux confins du Berry et de la Touraine, cette forêt s’étirait le long de la rivière du Cher, donnant son nom à la paroisse Saint-Julien-de-Chédon et couvrait les secteurs d’Épeigné-les-Bois (Dom Housseau, IV, n° 1273) et de Céré-la-Ronde, constituant la limite entre les diocèses de Bourges et de Tours, de la rivière du Cher à Écueillé (36). En 1216, Chédon désigne un bois parmi d’autres, localisé dans la partie Est de la paroisse de Nouans-les-Fontaines : partage entre Foulques de Villentrois, Tancrède du Plessis et les moines de Villeloin, où les bois sont désignés par le nom de leur détenteur, à l’exception du bois de Brouard (Cartulaire de Villeloin, charte 16). A cette forêt de Chédon se rattachent donc les bois qui suivent la ligne de partage des eaux des bassins du Cher et de l’Indrois, dont aucune ne porte ce nom sur le cadastre Napoléon.

Défrichement à caractère laïque.

Au contraire des chartriers des abbayes cisterciennes et des prieurés fontevristes ou grandmontains, les archives des monastères bénédictins traditionnels ayant plus ou moins subis l’influence de l’abbaye de Cluny, celles de collégiales castrales, rénovées en adoptant la règle de saint Augustin, celles des chapitres de cathédrale, celles des archevêchés de Bourges et de Tours et des évêchés de Chartres et d’Orléans contiennent plus d’allusions aux défrichements ; mais il s’agit là d’un type différent. Désireux de tirer de leur domaine des revenus plus substantiels ou soucieux de maintenir sur leur terre des hommes devenus plus nombreux, inemployés dans les limites du territoire cultivé précédemment, ces dignitaires durent faciliter l’extension du labour au même titre que tout détenteur de sol à cette époque, même s’ils le tolérèrent plus qu’ils ne l’encouragèrent.
Chaque ecclésiastique agissait comme seigneur temporel. Quand il ordonnait ou laissait faire le défrichement, tout mobile d’ordre religieux lui était inconnu, au contraire des ordres nouveaux. Il en est de même des ordres militaires, templiers ou hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, dont les établissements participèrent à ce vaste mouvement : l’abbaye de Pontlevoy qui possédait des domaines autour de son prieuré de Valençay, céda aux Templiers de Villefranche-sur-Cher des terres et des bois le long de la rivière du Nahon pour que ces religieux-militaires y installassent des hôtes ; une fois établis, ceux-ci versèrent des redevances aux Templiers, mais cultivèrent à leur profit les terres qu’ils défrichèrent (Dom Chazal, Histoire de Pontlevoy, preuve XXX). Ce type de documentation d’origine ecclésiastique est abondante sur le défrichement fait par des laïcs.
Un religieux ou une communauté peut acquérir une terre nouvellement défrichée : le prieur de Saint-Gondon acquit la terre de Pierre Marus que des paysans venaient d’arracher au bois et de rendre labourable (Cartulaire du prieuré de Saint-Gondon, charte 31).

Quelque soit son origine, le défrichement engendre la perception de la dîme ; il s’en suivit toute une série de querelles portant sur les limites paroissiales et, à l’intérieur de chacune d’entre elles, les limites de chaque dîme où le décimateur avait droit de la lever. Le cas de Villiers, commune de Mareuil-sur-Arnon, est exemplaire.
Des hommes connus par les accords successifs dont ils furent l’objet, s’établirent au milieu du massif boisé à l’Ouest de Châteauneuf-sur-Cher, entre les rivières de l’Arnon et du Cher ; ils y créèrent une clairière repérable encore sur la carte de l’I.G.N., et y construisirent le hameau de Villiers au XIe s. Les desservants de Primelles et de Mareuil-sur-Arnon, les 2 paroisses limitrophes, par l’intermédiaire des communautés patronnes de ces 2 églises, le chapitre cathédrale Saint-Étienne de Bourges pour Mareuil-sur-Arnon, et la collégiale Notre-Dame de Salles pour Primelles, revendiquèrent vers 1120 la juridiction paroissiale de cette nouvelle agglomération ; en 1128, les chanoines se mirent d’accord pour se partager les oblations et les habitants durent se faire enterrer à Mareuil-sur-Arnon. Cette décision équivalait à rattacher Villiers à Mareuil-sur-Arnon, et sur le cadastre révisé encore, alors que toute la forêt disparut entre Villiers et Primelles, et qu’il en subsiste entre Villiers et Mareuil-sur-Arnon, Villiers fait partie de la commune de Mareuil-sur-Arnon (A.D. 18-7 G 302).
De tels conflits peuvent se comprendre s’ils portent sur des territoires récemment défrichés, les anciens relevant déjà d’un statut défini, sinon définitif.

Se trouvant dans la quasi impossibilité de récupérer les dîmes perçues sur les terres déjà en culture, l’Église s’efforça au moins d’empêcher les seigneurs laïcs de s’emparer de celles établies sur les terres défrichées. Pour les distinguer, le corps ecclésiastique prit l’habitude de les nommer dans leur latin decimae novalia = dîmes des terres nouvellement mises en culture, ce qui aboutit régulièrement en français à dîmes novales, puis à l’abréviation novales. Ce terme apparaît dans les documents vers 1150, donc bien après le début connu du mouvement d’expansion des terres labourables. Aussi lorsqu’une dîme est qualifiée de novale, elle conserva ce nom jusqu’en 1789 pour la protéger de la convoitise des laïcs.
Quand Grégoire IX inscrivit ce trait dans ses Décrétales, il suivait de fait un usage ancien que résume l’adage : Novale semel, novale semper, novale une fois, novale toujours. Lorsqu’une charte du XIIe s. qualifie une dîme de novale, celle-ci porte sur une terre défrichée bien avant ; ainsi l’origine en reste le plus souvent inconnue.
Le chartrier de La Chapelle-Aude conserve un acte de 1128 qui relate les difficultés que provoqua la perception de la dîme des Essarts de Groisbois ; il peut s’agir du hameau du Bois-Saint-Denis, situé sur le plateau dénudé qui domine la vallée de l’Arnon de 50 m environ à l’Ouest de Reuilly (Cartulaire de La Chapelle-Aude, charte 37). Entre 1139 et 1158, les cisterciens de Fontmorigny se firent dispenser par le pape de verser des novales pour les terres qu’ils mettaient en culture (A.D. 18, Soyer, Actes des souverains antérieurs au XVe s.). Les bénédictins du prieuré de La Charité-sur-Loire conclurent un accord avec les augustins de l’abbaye de Saint-Satur sur les dîmes novales du Bois-de-l’Isle qu’ils achevaient de convertir en terres arables et en prés (Cartulaire de La Charité-sur-Loire, Charte 82, 1139, et charte 84, 1158).
Dans chaque cartulaire, les mentions de novales s’intensifient après 1150 et deviennent nombreuses au XIIIe s.

L’absence quasi totale de documents d’origine seigneuriale laïque interdit d’étudier avec plus de précision les progrès de la mise en valeur du sol de la Région Centre au XIIe s., mais l’examen du terroir et de la toponymie prouve qu’il y eut dans cette région, du XIe au XIVe s. une extension continue de la terre arable.
L’effort de mise en valeur du sol semble avoir surtout porté sur la partie calcaire et limoneuse de la Beauce, et de la Champagne berrichonne et tourangelle, où les friches qui encerclaient les noyaux de terres cultivées entourant les villages plus anciens, disparurent complètement. Il est aussi très net en Sologne et en Brenne où se multiplièrent les petites exploitations isolées au milieu des clairières, enfin dans les vallées alluviales de la Loire, du Cher, de l’Indre, de la Vienne et de leurs principaux affluents où les surfaces couvertes de prairies, voire d’emblavures, remplacèrent les joncs, les roseaux, les bois d’aulnes ou de saules.
Ce mouvement fut peut-être moins important dans les terres lourdes argileuses des Terres Fortes et du Boischaut Sud, et sur les contreforts Nord du Massif Central où le réseau de peuplement était plus ancien et plus dense.
S’il y eut indéniablement en Région Centre un grand mouvement d’extension de terres labourables du XIe au XIVe s., l’examen de ces sources interdit d’en préciser les modalités et les phases, leurs auteurs et leur chronologie.

Création et dédoublement de village.

A côté du défrichement fait à partir d’un centre connu dès le VIe-VIIe s., se créa aussi un nouveau village autour duquel s’ordonne une nouvelle zone de culture.
La partie de petite culture de la Région Centre offrait de nombreuses possibilités pour ces établissements : le peuplement lâche de la Champagne berrichonne et du Perche, très lâche de la Brenne et de la Sologne, isolé de la Gâtine tourangelle.
L’existence de massifs forestiers offraient un site propice à l’établissement d’un village, au centre d’une clairière cultivée :
- massifs grands et serrés à la lisière du Berry et de la Touraine, forêts de Brocard et de la Tonne, Bois de Champ-d’Oiseau, forêt de Maulne, Bois du Bourbonnais, Bois de Meillant et d’Arpheuille, forêts de Tronçay et de Champroux, ou du Nivernais, forêt d’Argenvières et d’Aubigny, Bois-Carnot, Bois des Ribaudières, de Bourrain, d’Apremont et de Neuvy.
- massifs sur le plateau entre 2 vallées : de l’Indre, forêt de Loches ; de la Creuse, forêts de Lancôme, de Brosse et de Châteauroux, forêt d’Azay-le-Ferron ; de la Loire et du Cher, forêt d’Amboise ; ou de celles de Théols, de l’Arnon et du Cher, forêts de Bommiers, de Cheurs, de Chaloy, Bois de Malvève, de l’Écoron et de Toux ; de la Vienne et du Cher, forêt de Chinon.

Entre l’habitat isolé et le bourg existèrent de nombreux villages et hameaux de taille très variable. En dehors de tout vestige archéologique à utiliser avec la plus grande précaution, restent 2 critères administratifs : l’octroi de franchises à la communauté rurale et l’érection d’un village en paroisse.

Si l’on en juge par l’état des paroisses connu dès le XIe s., la Région Centre connu peu de créations de village ex-nihilo. La majorité des communes du XIXe s. existaient déjà en tant que paroisses à l’époque carolingienne ; les créations certaines sont inconnues, mais quelques unes paraissent probables : Fondettes peut résulter d’un démembrement de la paroisse Saint-Venant de Luynes, Indre-et-Loire.
Mieux, il y eut des regroupements de paroisse dès le XIIe s. :
la paroisse de Saint-Martin-de-Lars se réunit à celle de Crosses vers 1150 (Cartulaire du Chapitre cathédrale Saint-Étienne de Bourges, p. 93) ;
en 1277, la paroisse de Pouligny à celle de Rouvres-les-Bois, à la demande de l’abbé de Déols, patron des 2 églises (Cartulaire de l’archevêché de Bourges, p. 831, n° 360) ;
les paroisses de Neuillé et de Pont-Pierre se réunissent dans le diocèse de Tours, avant 1260 ;
les 2 paroisses de Sainte-Maure-de-Touraine, Indre-et-Loire, fusionnèrent vers la même date.

Certaines d’entre elles durent devenir trop petite et trop pauvres pour entretenir le desservant quand le patron avait retenu son dû. L’abbé de Déols justifie son action en déclarant qu’aucun prêtre ne veut desservir chacune des 2 paroisses à cause de la modicité de leurs revenus.

Les quelques créations de villages s’effectuèrent selon un processus presque identique. Les paysans vinrent d’établir là où ils purent trouver la possibilité d’écouler le surplus de leur production et un refuge en cas de danger. Le château fut ainsi un point de regroupement idéal, s’il est dans un site accessible ; au contraire, celui de La Roche-Guillebaud sur un rocher sauvage et désolé au milieu de l’Arnon, celui du Châtelier près du Brignon, à Paulmy, ou de La Brosse sur un piton escarpé et aride qui domine le ruisseau, se virent à toujours isolés. Sa situation géographique qui doit le protéger peut donc éloigner tout habitat ou attirer un fort peuplement sans que le châtelain ait besoin d’accorder de privilèges.
Ainsi certaines fondations furent dépourvues de privilèges dès leur origine et l’emploi du latin burgus est rare dans les chartes. L’attrait qu’exerce le château, généralement pourvu d’une chapelle seigneuriale, voire d’une collégiale, et où se trouvent des clercs, fut tel qu’il put entraîner le déclin, voire la disparition de l’ancien centre paroissial.
Comme l’administration civile et religieuse est toujours lente à constater de tels changements et à en tenir compte, l’église paroissiale resta souvent jusqu’au XVIe, XVIIe, voire au XVIIIe s., dans la localité à demi-abandonnée, avant d’être transférée dans la chapelle ou dans la collégiale qui accompagne le château. Mais dès le XIIIe s., le paysan déserta la vieille chapelle trop éloignée ou d’un accès incommode, pour fréquenter ce nouveau sanctuaire, comme à Notre-Dame de Cléry, proche de sa nouvelle habitation. Le desservant et le patron de l’église paroissiale se plaignaient de cet état de fait, perdant leurs paroissiens et leurs revenus, et demandèrent à répétition que les paroissiens fréquentassent leur église légale ; en vain.

Transfert d’un site à l’autre.

En 1156, les moines de Déols, patron de l’église Saint-Tiburce de Thoiselay, désertée au profit de la collégiale Saint-Aoustrille de Châtillon-sur-Indre, s’adressèrent au pape Adrien IV, qui leur donna en partie satisfaction, puisqu’il exigea que baptêmes, mariages, sépultures, relevailles, confessions et communions pascales eussent lieu à l’église Saint-Tiburce de Thoiselay, qu’il qualifie d’église baptismale et mère ; et les fidèles de Châtillon-sur-Indre furent tenus de fréquenter 9 fois par an, aux grandes fêtes, leur église paroissiale officielle ; le reste du temps, ils pouvaient assister à la messe et en particulier accomplir leur devoir dominical où bon leur semblait, en fait à la collégiale Saint-Aoustrille de Châtillon-sur-Indre (A.D. 36-G 54). Le siège de la paroisse de Toiselay fut déplacé à Châtillon-sur-Indre entre 1736 et 1772 (Mémoire de la Société des Antiquaires du Centre, t. 40, p. 20-45).
L’église et le cimetière de Thoiselay occupaient un site adapté à la conquête gallo-romaine, en terrain plat, dans la plaine alluviale de l’Indre, au Sud de la rivière, face au gué, donc d’un accès facile. Lors de la période troublée des Grandes Invasions, puis de celle des Normands qui commença vers 850, le seigneur fit bâtir son château dans un site plus favorable à la défense qu’au commerce et choisit la motte de Châtillon-sur-Indre à 1500 m au Sud-Est de Toiselay. Dès 1090, la majorité de la population devait être établie au pied du donjon, dans un bourg sans rempart connu.

Les autres châteaux dont l’édification produisit le même effet, datent aussi du XIe au XIIe s.
Bâti au sommet de roches abruptes qui dominent la rive droite la rivière de l’Arnon, Culan est mentionné pour la 1re fois en 1080 ; le château se trouve à 1200 m du village de Prahas, situé à l’Est de cette rivière. Délaissant le bourg primitif, des paysans et des marchands s’installèrent sur le plateau à l’Ouest du château et ce bourg grandit assez vite pour avoir 3 chapelles et un Hôtel-Dieu, et le général des habitants de la paroisse, avec le seigneur, fit élever des remparts ; mais l’église paroissiale resta à Prahas jusqu’en 1620 ; sur le cadastre révisé, dernière survivance de ce passé lointain, le cimetière communal entoure toujours les vestiges de l’église de Prahas.
Le Châtelet, Indre, aurait joué à l’égard de Puyferrand un rôle analogue à Culan par rapport à Prahas, mais la paroisse put être établie après le chapitre régulier des chanoines de l’ordre de Saint-Augustin : l’établissement vers la même époque, à moins d’un km de Puyferrand, siège du chapitre, de la forteresse du Châtelet par les sires de Déols, aurait dû entraver le développement du bourg monastique au profit du bourg castral, plutôt qu’entraîner le déclin d’un centre paroissial plus ancien, comme le laisse supposer le toponyme d’origine française de Puyferrand, postérieur au XIe s.
Les Aix-d’Angillon et Valentigny se trouvent dans le cas de Culan : il fallut que la nef de l’église s’écroulât en 1678 pour utiliser la collégiale Saint-Itier du château des Aix-d’Angillon comme église paroissiale ; mais le cimetière resta à Valentigny (A.D. 18-17 G 11, 2 F 147, fol. 46).
A Montfaucon, devenu Villequiers en 1666, et dans la paroisse de Berry, l’attrait du château, centre de plusieurs châtellenies, qui avait pris la place des anciennes vigueries carolingiennes, fut tel qu’il réduisit à l’état d’écart le 1er centre paroissial.
Le château de Châteauneuf-sur-Cher joua le même rôle vis-à-vis de la paroisse de Marigny ; La Châtre et la paroisse de Montgivray.
A 1500 m environ d’Argentomagus s’établit la forteresse au pied de laquelle se forma la ville d’Argenton.
La paroisse de Bourguérin-Boisseleau devint la commune de Droué en 1792, mais ce changement était inscrit dans la vie paroissiale depuis le XVIIe s. : la chapelle seigneuriale de Bourguérin devint l’église paroissiale vers 1620, en remplacement de l’église primitive de Bourguérin, alors en ruine, devenue l’église de Droué.
Le château de Gargilesse, Indre, est bâti sur le territoire primitif de la paroisse du Pin.
Le château de La Guerche-sur-l’Aubois, Cher, se situait sur la paroisse de Saint-Étienne du Gravier : en 1793, La Guerche remplaça Le Gravier comme chef-lieu de la commune.
La paroisse de Châteaux, créée au Xe s., depuis Château-la-Vallière, est un démembrement de celle de Chozé-le-Sec.
La paroisse de Montbazon créée fin XIIIe s. autour du château, est un démembrement de celle de Veigné.
Celle de Montrésor est créée en 1700 autour du château, par démembrement de celle de Beaumont-Village, avec une surface de 22 ha environ.
Le château de Romorantin est à l’origine de la paroisse Notre-Dame, démembrement de celle de Saint-Aignan de Lanthenay, vers le Xe s.
Le château de Blancafort est à l’origine de la paroisse puisque la chapelle castrale devint paroissiale au IXe s.

L’attrait exercé par le château était proportionnel à la puissance du châtelain. Les exemples cités sont tous des châteaux devenus au cours des Xe et XIe s., le centre d’une châtellenie qui s’étendait sur l’équivalent de 2 ou 3 cantons actuels. Comme le montre la majorité des autres seigneuries, si le château avait un maître moins puissant, il attirait moins de monde, et la paroisse primitive subsistait : La Ferté-Imbault relève toujours de Selles-Saint-Denis, comme Lignières de Saint-Hilaire-de-Borneis, devenu Saint-Hilaire-en-Lignières.

A contrario, le pouvoir du seigneur est si faible, que son château resta toujours isolé du bourg qui conserve sa fonction : à Pouligny, la Tour-Gazeau se dresse encore isolé au milieu de la campagne ; le château des Aubels à La Ferté-Gilbert ; Le Châtellier à Paulmy ; le château de Buzançais hors du bourg de Saint-Étienne, resté le centre de la paroisse.

Enfin, la lutte de pouvoir entre le château et l’église trouva sa solution lors de la création des communes en janvier 1790 :
- Onzay prit le nom de Palluau.
- Subtray, celui de Mézières
- Bommiers le Château et Bommiers l’Église formèrent la commune de Bommiers.

Au XIe s., la fondation d’un établissement religieux put avoir le même résultat que celle d’un château.
- la commanderie de l’ordre du Temple, puis de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, donna son nom à la paroisse, puis à la commune réunie à celle de Villefranche-sur-Cher, Loir-et-Cher, par Ordonnance Royale du 19 février 1833.
- Plaimpied se forma autour de la collégiale des chanoines de l’ordre de Saint-Augustin fondée par l’archevêque Richard II de Bourges ; Chezal-Benoît autour du monastère bénédictin fondé par André de Vallombreuse.

Mais il en fut des monastères comme des châteaux au XIIe s. : alors que les communautés religieuses fondées en rase campagne furent nombreuses, seules quelques établissements donnèrent naissance à une paroisse transformée en commune : Fontgombault, Massay, Méobecq, Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Genou, Varennes-sur-Fouzon.
Depuis leur abandon par les religieux entre 1700 et 1790, les autres devinrent de simples domaines : Baugerais, commune de Loché-sur-Indrois ; L’Eau, commune de Ver-lès-Chartres ; Saint-Vincent-aux-Bois, commune de Saint-Maixme-Hauterive ; La Virginité, commune des Roches-l’Évêque.

L’extension du terroir cultivé, la création de nouvelles agglomérations, le développement d’anciens villages devenus bourgs s’expliquent sans doute par un fort accroissement démographique, mais aussi par la mobilité des populations rurales.

Apogée et déclin des défrichements.

Signe de la vitalité économique de chaque région, le mouvement des défrichements débuta vers 1000 et atteignit sa plus grande vigueur vers 1230. Et les 2 types de défrichements cités tendirent à se confondre. Le mouvement érémitique n’existait plus depuis longtemps en Occident, les cisterciens avaient abandonné une partie de leur austérité primitive, et l’exploitation et la mise en valeur de leurs domaines ressemblaient à s’y méprendre à celle des propriétés des autres établissements religieux et des grands propriétaires laïcs.
Les religieux mendiants fondés entre 1200 et 1220 se désintéressaient de la terre et s’installèrent dans les villes : ils avaient de la pauvreté évangélique, de la désappropriation et du dépouillement, une conception radicalement différente de celle qui est toujours en honneur dans les différentes obédiences bénédictines.
Les défrichements ne s’arrêtèrent pas brusquement vers 1250, mais à partir de cette date leur extension se ralentit ou du moins se heurta à des obstacles que les chartes indiquent clairement. Si aux XIe et XIIe s., forêts, bois, landes et friches existaient, ils participaient à l’économie rurale, voire en étaient un des éléments indispensables : réserve de gibier (Cartulaire du Lieu Notre-Dame lès Romorantin, charte 35) ; or gros et petit gibier fournissaient une part importante de la viande consommée dans toutes les classes sociales ; pour le seigneur, la chasse était un délassement favori et un moyen de s’exercer au combat. D’où les transactions, y compris avec le roi, pour pouvoir continuer à exercer de droit :
Juillet 1309. Notification de l’accord conclu entre les gens du Roi et Geoffroy Païen, chevalier du Roi, seigneur de Montpipeau, aux termes duquel led. Geoffroi, qui affirmait posséder la chasse à la grosse bête dans les bois de Montpipeau, de Daumery et de Conçois, et la poursuite jusqu’au Bois Bouau et au Bois du Bouchet, et s’était plaint des empeschemens causés par les gens du Roy, recevra la pleine propriété des bois qu’il possède de la Forest de Goumats aux lieux-dits Puits Gautier, Le Bréau, Gaulay et dans une partie du Bois de Daumery, contenant au total 360 arpens environ et constituant les ¾ des bois du gruage royal, leur séparation d’avec la partie des bois qui restera au Roy devant estre réalisée aux mieux des intérests de chacun (A.N.-JJ juillet 1309 (A.N.-JJ 41, fol. 63, n° 97 ; JJ 42B, fol. 53 v°, n° 96). La Forêt de Goumat s’étendait sur les cantons de Meung-sur-Loire, Orléans et Patay.
Bois de chauffage nécessaire aussi bien pour le foyer domestique que pour les fours et les forges (A.D. 36-H 348) ; mais aussi bois d’oeuvre indispensable pour la construction, l’entretien et la réparation des maisons paysannes et seigneuriales, des églises et des couvents ; même la construction de pierre exigeait des échafaudages et une charpente en bois. Or si l’on excepte quelques massifs forestiers, la plupart des bois étaient des taillis incapables de fournir poutres et madriers ; aussi les concessions portant sur le bois d’oeuvre prévoyaient souvent le nombre d’arbres auxquels le bénéficiaire avait droit (Cartulaire de Saint-Sulpice de Bourges, Supplément 25 et 28).
Il fallait donc conserver de grandes superficies boisées pour avoir quelques beaux arbres presque droits ; sinon il aurait fallu transformer les forêts en véritable culture d’arbres à peuplement aussi pur que possible et à révolution longuement calculée, ce qui se réalisa avec la création du service des Eaux et Forêts en 1663, ce qu’aucun texte connu des XIIIe et XIVe s. ne présume. Les droits d’usage dans la forêt, dont les chartes parlent souvent, ont trait à l’élevage : envoyer paître les animaux dans les bois ou sur les friches reste encore aux XIIe et XIIIe s, comme au VIIe-VIIIe s., le moyen classique de les nourrir. A une époque où la viande devait occuper dans l’alimentation humaine, une place plus importante qu’au XXIe s., comme le constatent toutes les communications faites au Congrès des Sociétés Savantes de Tours, en 1968, sur le thème : Les problèmes de l’alimentation au Moyen-Âge et à la Renaissance, tout ce qui avait trait à l’élevage devait présenter une importance capitale.
L’homme du XIIIe s. envoyait alors dans les bois tous les gros animaux : chèvre, mouton, porc, vache, et même parfois âne, cheval ou mulet, et pouvait les y laisser de longs mois en pleine liberté. Les dégâts causés par ces bêtes devaient être considérables : mouton et chèvre broutaient les jeunes pousses, empêchant ainsi tout développement normal de la végétation arbustive ; en recherchant faine et gland, le porc fouissait le sol, abîmait les racines et détruisait les sous-bois nécessaires à l’équilibre de la forêt.
Conscient de ces inconvénients, l’homme ne pouvant se passer ni de viande, ni de laine, le seul moyen d’éviter la destruction totale de la forêt était de se contenter d’un élevage très extensif. Pour empêcher de telles pratiques, il eut fallu augmenter la surface des prés ; et les seigneurs les plus avertis commencèrent à s’orienter vers cette solution, comme en témoignent les chartes qui indiquent des créations de prés, des échanges de prés, plus nombreuses au XIIIe qu’aux XIe et XIIe s. ; les cisterciens multiplièrent plus fréquemment les prés autour de leurs abbayes et de leurs granges dîmeresses, quand le site y était favorable : les chartriers des abbayes Notre-Dame de Barzelle (A.D. 36-H 1 à 140), Notre-Dame de La Prée (A.D. 36-H 346 à 436, A.D. 18-9 H), Notre-Dame du Landais (A.D. 36-H 260, 993, 994), et surtout de Notre-Dame de Loroy (A.D. 18-7 H) et de Notre-Dame-de-la-Maison-Dieu de Noirlac (A.D. 18-8 H) comportent une proportion inattendue de chartes ayant trait à des prairies.
Les abbayes dépendantes de Cluny, les anciennes abbayes comme Marmoutier, Saint-Benoît-sur-Loire, les collégiales et les églises séculières semblent avoir peu suivi ce mouvement, à l’exception de Saint-Sulpice de Bourges (A.D. 18-4 H) ; quant aux seigneurs laïcs et aux paysans, ils durent continuer à accorder une place primordiale aux emblavures ou, si le terrain y était favorable, à la vigne. Reste que la documentation pour ces 2 derniers groupes est très fragmentaire.
De toute façon, la petite extension des prés au XIIIe s. empêchait la suppression de tous les droits d’usage dans les forêts et les défrichements opérés depuis la fin du Xe s. rendaient encore plus précieux l’exercice de tels droits en diminuant les surfaces boisées disponibles.

Afin de préserver leur droit, les propriétaires de bois pouvaient s’en réserver la jouissance exclusive et les transformer en forêt privée, c’est-à-dire d’y interdire à tous le prélèvement du bois de chauffage, la chasse et le pacage d’animal (A.D. 18-13 H 119, n° 3). Parfois ils accordèrent l’autorisation de défricher si les usagers du bois renonçaient à leurs droits d’usages sur une partie du bois ; c’est la pratique du cantonnement (A.D. 36-H 352). Les communautés villageoises détentrices de ces droits s’efforcèrent naturellement de les préserver et donc de limiter à la fois défrichement et cantonnement, quitte à s’opposer aux hommes désireux de se créer de nouvelles emblavures par défrichement.

Lande, friche et forêt appartenaient souvent à des seigneurs jouissant de pouvoirs banaux et formaient une part importante de leurs revenus seigneuriaux ; certains d’entre eux prétendaient même empêcher tout défrichement à cause de la chasse, afin de ménager leur réserve de gibier (A.D. 18-2 F 49, p. 130). Quand ils autorisaient un défrichement en vue d’une mise en culture, ils prenaient alors soin de bien faire délimiter le territoire concédé et de faire placer sur le terrain des bornes qui jalonnaient les limites décrites dans l’acte (A.D. 18-2 F 47, p. 210).

Le document le plus significatif de ce nouvel état d’esprit se trouve dans le cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Villeloin. En 1263, le chevalier Pierre de Palluau fit édifier une maison seigneuriale à Oignais, dans la zone récemment défrichée du Bois-Franc, au Sud d’Écueillé. Au pied de sa demeure, il fit établir une digue sur le ruisseau de Calais pour y établir un étang, mais ce ruisseau servant de limite entre ses domaines et ceux de l’abbaye de Villeloin, et l’eau de l’étang ayant envahi la partie de Bois-Franc qui appartenait aux religieux, ce chevalier put maintenir son étang et obtint même le droit d’en établir un autre sur le même ruisseau, à condition que, s’il voulait faire édifier un moulin sur la digue, à frais communs avec l’abbaye de Villeloin, les bénéfices de son exploitation se partageraient par moitié, que l’étang se viderait tous les 3 ans pour être remis en eau avant Pâques, qu’il pourrait surélever la digue sans noyer la source du ruisseau, et qu’il verserait tous les ans aux religieux un muid de froment et un setier de seigle pour chaque arpent de bois ou de marais inondé. Lors de cet accord, les parties évaluèrent cette surface à 2 arpents, mais ils s’entendirent pour que calcul définitif de la rente se fît lors du 1er assèchement. Le tout devait être consigné dans une charte revêtue du sceau de la curie de l’official de Tours. Les religieux de Villeloin ne pouvaient exiger plus de garantie et montraient ainsi l’importance qu’ils attachaient au revenu de la moindre parcelle de leur propriété (Cartulaire de Villeloin, charte 100). L’âpreté avec laquelle chaque partie défend ses intérêts dans cette charte, rappelle les innombrables procès qui, aux XIXe et XXe s. opposèrent si souvent les propriétaires terriens devant les justices de paix. Une telle mentalité traditionaliste et comptable défavorisa toujours les adaptations nécessaires en continu de la culture du terroir à l’économie environnante ; à partir de 1250, avec les nécessités d’une économie pastorale renouvelée, elle fut le premier obstacle à la poursuite des défrichements selon leur rythme antérieurs. Si le mouvement continua, il s’affaiblit.

Dans chaque cas, il faut donc distinguer la continuité des espaces, du pagus à la paroisse, de celle des lieux habités. En ce temps où le pagus disparaît des textes et où la paroisse s’affermit, mais où ses limites servent rarement de repères car elle constitue encore une circonscription aléatoire, le contraste entre le centre paroissial et les écarts semble moins net qu’ultérieurement. Le domaine seigneurial apparaît le plus souvent comme une petite agglomération ; dans ce cas, la continuité du site est généralement assurée, même si sa structure est appelée à changer. En revanche, les manses ou exploitations isolées semblent moins durables ; à ceci près que le nom du site subit les fluctuations démographiques : la reprise après abandon est le plus à l’origine du changement de nom. La toponymie du XIe au XIIIe s. ignore les grands défrichements, car l’essentiel semble déjà fait.

Géographie agricole au XIIIe s.

La seule redevance en châtaignes connue vient de la Sologne (Cartulaire de Saint-Sulpice de Bourges, chartes 72 et 73), c’est-à-dire d’une terre silicieuse où routes et chemins sont encore bordés de châtaigniers centenaires au XXe s. ; les mentions de noix proviennent presque toutes des terrains calcaires de la Champagne berrichonne (A.D. 36-H 276, p. 481, 352, 835). Il y a là un 1er indice du choix des plantes cultivées en fonction de la nature du sol, d’une connaissance empirique et presque instinctives par le paysan des aptitudes de sa terre.

Mais le choix des cultures est surtout fonction des besoins de l’homme. Comme les transports restaient difficiles, longs et coûteux, chacun avait intérêt à se procurer sur place les denrées indispensables, même si leur culture se révélait aléatoire et leur production de qualité médiocre. Chaque produit se cultivait un peu partout, là où n’existait pas de contre-indication absolue, y compris la vigne qui paraissait présenter certaines exigences ; effectivement, elle fut longtemps abondante là où se trouvaient un sol chaud et une exposition favorable et c’est seulement depuis la crise du phylloxéra et surtout depuis 1920 que le recul du vignoble se généralisa.

Au XIIIe s., les mentions de vignoble, de terre à planter en vigne, de dîme du vin, de redevance en vin, de pressoir banal sont fréquentes dans toute la Région Centre ; son absence presque totale se vérifie seulement sur les terres silicieuses et froides de la Brenne et de la Sologne. Mais la densité du vignoble variait. La Champagne berrichonne, la Gâtine tourangelle, la vallée de la Creuse, le Boischaut Sud offrent des mentions de vigne en petit nombre et en des points très dispersés : sa production devait satisfaire la consommation courante et la vigne se perdait au milieu des autres cultures vivrières. Au contraire, le long des coteaux des bassins de la Loire et de la Seine, et de leurs affluents, le Cher, l’Eure, l’Indre, Le Loing, le Loir, la Vienne, le vignoble semble abondant, comme le chante au XIIIe s. le trouvère Henri d’Andeli, dans La Bataille des vins :
Chauveni, Montrichard, Laçay
Chastel Raoul et Besançai
Montmorillon et Ysoudun
Furent devant le roi tot un
Pour abattre le Brabançois
De trestos nos bons vins françois.

Le caractère commercial de ces vignobles se trouve souligné par leur forte concentration auprès des villes : le long de la Loire autour de Blois, Bourgueil, Orléans, Sancerre et Tours ; le long de la rivière de la Creuse autour d’Argenton-sur-Creuse ; le long de la rivière de l’Eure autour de Chartres ; le long de la rivière de l’Indre autour de Buzançais, de Châteauroux et de Loches ; le long de la rivière du Cher autour de Châteauneuf-sur-Cher, de Montrichard et de Vierzon ; le long de la rivière du Loing autour de Montargis ; le long de la rivière du Théols autour d’Issoudun ; le long de la rivière de la Vienne autour de Chinon, et le long celle de l’Yèvre autour de Bourges.

L’association des prés de fauche et de la vigne se comprend aisément puisque tous les 2 formaient des bandes parallèles le long des rivières, dont l’importance dépendait de la forme et de l’ampleur des vallées. Vignes et prés ne pouvaient s’intercaler et occuper les places les uns des autres ; en effet, la vigne exige une position au soleil et un sol calcaire ou pierreux, et ne supporte pas les inondations en temps de crue ; au contraire, les prairies ont besoin d’humidité et d’un sol meuble et gras, et en outre, le dépôt limoneux par la rivière en crue favorise le développement de l’herbe. La vigne se trouve sur le versant de la vallée et la prairie en occupe le fond, s’il est peu marécageux.

L’association de la prairie et de l’étang est fréquente dans les chartes du XIIIe s. et demeure au XXe s. L’établissement d’une prairie est en effet l’utilisation la plus rationnelle de la terre qui entoure l’étang ou qui se trouve au pied de la digue retenant ses eaux. Or dès le XIIe s., la toponymie les régions de petite culture témoigne de l’existence de nombreux étangs, alternativement en eau ou asséchés, non seulement en Brenne et en Sologne, mais encore dans les Boischauts Nord et Sud, en Gâtine tourangelle, dans le Perche ; ils étaient aussi nombreux, et cela surprend davantage, en Beauce et en Champagne berrichonne, non pas sur le plateau calcaire et limoneux favorable à la culture des céréales, mais sur les plaques détritiques et froides qui les recouvrent par endroits et qui portent toujours des massifs forestiers. Quand on attaqua ces massifs pour y établir des clairières aux XIIe et XIIIe s., les paysans et les seigneurs y multiplièrent les étangs autour d’Orsan et de Chezal-Benoît, dans les forêts de Châteauroux et de Tronçais, par exemple, dans la Champagne berrichonne.
Ce type d’habitat offre une grande flexibilité pour désigner le lieu-dit, qui peuvent changer de nom avec chaque propriétaire : le titre de propriété et le plan fiscal, terrier et cadastre, permettent cependant d’en suivre l’évolution

Défrichement et habitat.

A chacune de ses réinstallations dans la Beauce et dans le Gâtinais de l’Ouest, l’homme se retrouva en présence d’une immense étendue de forêts et de broussailles, coupées de prairies naturelles et de rares marécages au bord du chevelu des rivières ; ces forêts primitives disparurent et réapparurent au gré des périodes de défrichements et de l’agriculture qui s’intercalèrent, dans un mouvement d’autant plus puissants que le peuplement était important. La présence insolite de noms de lieux qui s’expliquent par la botanique, Aunay, Boulay, Lutz, de lucus = bois, Rouvray, de robur = chêne, Voves, du gaulois vidua = forêt, suppose que la Beauce et le Gâtinais de l’Ouest offraient la présence de nombreuses touffes de bois déjà dispersées au milieu de défrichements qui se réactualisèrent de l’époque pré-celtique au XIVe s. D’après ces vestiges toponymiques, ces forêts durent être des forêts de chênes, quercus robur et quercus sessiliflora, dans les parties les plus sèches, et des forêts d’aulnes, de bouleaux et de frênes, mélangées, dans les parties à sol humide ; le tout additionné d’une pincée d’orme et de tilleul.

Comme tout être sensé, le cultivateur porta d’abord ses efforts sur les terres les plus faciles à cultiver. Le caractère certainement rudimentaire des instruments aratoires, comme l’araire, et la faible densité de population peuvent expliquer que les terres cultivées de ces 2 régions furent assez longtemps de faible étendue, sans qu’il soit nécessaire d’expliquer ce phénomène par la qualité du terrain qui reste supérieure à celui qui l’entoure.
Comme pour le pays de petite culture, le défrichement obéit à 2 lois :
- il est proportionnel à la population, comme le souligne la comparaison des listes de feu de 1272 du Pouillé du diocèse de Chartres ou de ceux de 1569 en Berry du géographe Nicolas de Nicolay, avec le nombre d’habitants des recensements du XIXe au XXIe s. de chaque région correspondante.
- le 1er entré est le dernier sorti. Loi dite de l’emboîtage.

Cette dernière loi se vérifie tout particulièrement avec l’implantation des moulins à vent et à eau. Le choix des rivières et des hauteurs venteuses est significatif. La rivière qui a le meilleur débit pour leur installation, les reçoit avant celle dont le débit suffit à peine. Et sur un même cours d’eau, le 1er meunier arrivé choisit l’endroit le plus propice à son installation, le 2e, celui qui, tout en lui étant moins favorable, reste pour lui le plus favorable, étant donné le site occupé par le 1er, et ainsi de suite. La 1re rivière qui perd ses moulins est celle dont le débit est le moins favorable, et le 1er meunier qui part est celui qui est dans la position la moins favorable pour résister à la crise, et ainsi de suite.

Évitant les vastes forêts qui se reconstituent après 30 ans d’abandon par l’homme, les plateaux broussailleux sans eau, où l’orientation et le réseau routier se révélaient difficiles et la vie mal assurée, dès l’époque néolithique l’homme suivit d’abord la rivière et fixa son habitation le long des cours d’eau : si la nécessité de l’eau se comprend aisément, elle se trouve partout en Beauce, dans le Gâtinais de l’Ouest ou en Champagne Berrichonne, en creusant un puits, et offre par elle-même une explication aléatoire ; le cours d’eau est d’un autre intérêt : avec l’eau, il fournit le poisson, attire les animaux pour la chasse et forme un couloir facile à suivre à pied, à cheval, voire sur un bateau quand il est navigable, pour tout déplacement ; il facilite ainsi les relations avec les autres groupes humains.
Il est donc logique que la vallée présente un mélange de noms de lieux d’origine très diverse, du pré-celtique Ruan au Samsuffit XXe s., chaque couche de population y laissant sa trace.

Le défrichement permanent et continu date de la fin du XIe s. La Chronique de Morigny, rédigée entre 1106 et 1108, mentionne toujours des défrichements à Maisons, au Nord de la Beauce centrale : Locum diu incultum excoluit, vespices et tribulos, filices et dumos, rudera terre visceribus inherentia, nunc aratro, nunc ligonibus, nunc ceteris ruricolarum armis, eradicavit. Le chroniqueur réunit ici divers synonymes de broussailles, dont l’un d’eux doit désigner les ajoncs, plante inconnue des gallo-romains. Au XIIe s., la Beauce conserve donc encore de vastes terrains en bois ou broussailleux, inhabités. Mais en 1316, Le Roman du Comte d’Anjou décrit sommairement l’aspect de la Beauce en arrivant d’Étampes : n’i a rienz qui abrite (vers 5617) ; ce qui laisse supposer une absence presque totale de forêt, de haie et de buisson. Le défrichement devait donc s’achever à cette époque.
Comme la présence de moulins à vent est abondante à partir de 1190, et presque inconnus jusqu’au XIe s., la culture de la céréale dut se généraliser au XIIe s., d’une manière permanente et définitive, pour aboutir à une situation presque identique à celle qu’indiquent les 1res matrices cadastrales de 1809 à 1840.

Cette même évolution se lit encore dans le changement de nom du patron de l’église paroissiale :
- Saint Barthélémy et Saint Ouen, commune de Saint-Ouen, Loir-et-Cher.
Le passage de la cella ou capella, chapelle desservie par un clerc pour le culte de quelques familles, à l’ecclesia ou église paroissiale constituée en cura animarum ou bénéfice ecclésiastique, provoqua sans doute ce changement.

Ainsi s’explique que la Beauce et le Gâtinais de l’Ouest, pays de champ ouvert à parcelles allongées, aient un terroir sans sole : l’unité d’assolement obligatoire se constituait non pas par saison réunissant plusieurs quartiers, mais par quartier ou champtier où chaque faisceau de parcelles allongées formait l’unité d’assolement, indépendante des faisceaux voisins, comme dans tout pays de petite culture. Ainsi, ce type d’assolement montre que ces 2 régions furent d’abord des pays de petite culture que la richesse relative des sols transforma progressivement, lentement et par étapes, en pays de grande culture, comme la Champagne berrichonne, pale imitation de la Beauce fromentière, devint une terre à grain à partir de 1850.

Ce mélange insolite de petite et de grande culture explique le type d’habitat de ces 2 régions :
- village-rue ou hameau-rue de 8 à 10 exploitations, dans un habitat regroupé de chaque côté de la rue principale, typique de la grande culture, mais connu dans la petite comme à Sidiailles, Cher, dont l’origine est le plus souvent la mise en valeur d’un terrain en lisière de forêt ou dans une zone de complexité pédologique.
- ferme isolée, typique de la petite culture, établie en pleine zone forestière.

Cette opposition est particulièrement sensible dans les zones frontières, où elle se retrouve soit dans 2 paroisses soit dans 2 sections de la même paroisse, qui se jouxtent :
- Faye, Loir-et-Cher. Évoqué vers l’an 1000 dans le Cartulaire de Saint-Laumer de Blois (A.D. 41-11 H 128 p. 7), l’axe de ce village-rue peut correspondre à un fond de défrichement sur le Bois de Briscard. Les défricheurs purent tracer perpendiculairement à cette rue des parcelles allongées, sur la transition entre les terrains de type calcaire et argileux, de façon que chaque famille reçoive autant de bon terrain et de médiocre. Il s’agit donc sans doute ici d’un défrichement collectif, qui s’oppose au défrichement isolé sur la commune de Rocé, qui la jouxte.
- Huisseau et Villiersfaux, Loir-et-Cher. Ces 2 paroisses connaissent à l’intérieur même de leur territoire, cette opposition. 2 types d’aménagement cohabitent : les grandes pièces rectangulaires de part et d’autre du village-rue, et des hameaux où se trouvent une ou plusieurs exploitations agricoles, comme Le Plessis, Cne de Huisseau-en-Beauce, et La Ratellerie, Cne de Villiersfaux.

Si la majorité des centres paroissiaux sont connus dès 900, il en va autrement du village-rue et de son modèle réduit le hameau-rue. Ce type de défrichement évoque probablement la poursuite, entre 1070 et 1150, de l’aménagement des lisières de forêt, sous réserve que la documentation peut toujours être défaillante. Ainsi, Le Bois-aux-Moines et La Lézonnière, Cne de Naveil, Loir-et-Cher, sont des essarts pris sur le Bois de Chanteloup, acquis par l’abbaye de la Trinité de Vendôme sur Roupenon (Cartulaire de Vendôme, charte 444). A La Motte, Cne de Pray, Loir-et-Cher, le cadastre de 1813 montre un parcellaire en lanière perpendiculaires à la rue sur la partie Ouest du site, là où subsistent encore des Devants et des Derrières ; à Migneray, même commune, la rue sépare les Devants, côté champ, du côté bois.

Ce fait se traduit à un double niveau :
- stabilité presque forcée du nom du hameau depuis sa création, même si une ou plusieurs des exploitations prennent un nom particulier pour se distinguer les unes des autres : L’Enfer, le Paradis et le Purgatoire forment le hameau de Bezay, Cne de Nourray, Loir-et-Cher.
- instabilité relative du nom de l’exploitation isolée.

Indépendance juridique de la ville.

Parallèlement à cette évolution du paysage rural se produisit une sorte de 1re émancipation bourgeoise : les villes obtiennent des chartres de franchise de leur seigneur, laïc ou ecclésiastique, comme le montre le recensement des coutumes nouvelles qu’entreprit Gaspard Thaumas de La Thaumassière, à partir de 1675.
Le système féodal s’acheminait vers sa fin, même si l’attribution de fiefs demeura un moyen politique jusqu’au 4 août 1789.
Les couches sociales déterminantes passent progressivement de la Noblesse et du Clergé au Tiers État, marchands, artisans, réunis en corporation. Signe majeur de cette évolution, la circulation de l’argent devient un fait économique qui se voit.
La ville prend naissance, moins par sa construction qui débuta avant l’époque gallo-romaine, que par la naissance de son entité publique qui s’administre et se gouverne par elle-même, ébauche d’une structure politique nouvelle et source d’un conflit qui l’opposa à son seigneur juridique.
Les Universités de Bourges et d’Orléans, nées des écoles cathédrales du XIIe s., constituent un des reflets de ces entités publiques à structure corporative. Un monde nouveau nait, et avec lui une nouvelle toponymie faite de noms de voies publiques intra-muros.

La toponymie révèle la continuité d’un phénomène économique, social et culturel simple : les vallées furent toujours plus durablement peuplées que les plateaux. Il serait donc logique de constater la présence actuelle de toponymes d’origine gauloise et romaine le long des rivières, et médiévaux sur de vastes étendues cultivées, comme la Beauce chartraine, ou boisées comme les Boischauts berrichons. Or, il n’en est rien : le nom d’origine gauloise ou gallo-romaine se cache souvent derrière le toponyme d’origine française qui le remplace depuis le XIe-XIIe s.