Écrit par Denis Jeanson le . Publié dans introduction

09paysage rural. XIVe-XVIe s.

IX Paysage rural. XIVe-XVIe s.


I Communauté taisible. Toponyme patronymique.

Dérivé du verbe taisir, du latin classique tacere = ne pas dire, garder le silence, attesté depuis 1145, l’adjectif taisible, synonyme de taciturne, fut employé en droit coutumier pour indiquer une communauté de fait, cachée, une mise en commun d’activité entre plusieurs personnes, et non de droit, comme le mariage.

Formé par l’association de l’article, de la préposition Chez ou du terme Huis, au nom de la famille, le toponyme patronymique atteste la présence d’un groupe familial organisé en communauté. La formation de ces toponymes datent le plus souvent du XIVe s. et leur formation dépassent rarement le XVIe s. Le caractère tardif de ces toponymes se confirme par les contrastes de localisation de l’habitat : alors que les toponymes antérieurs au Xe s. se concentrent à proximité des vallées, dans les terroirs les plus riches, les patronymiques correspondent aux régions situées à l’écart des 1ers axes de circulation.
Réunis à l’article les, les adjectifs petit et grand, ou associé au nom de la communauté les qualificatifs delà ou deçà, sont souvent la preuve d’une division de la communauté d’origine, les 2 habitats se situant en général à très faible distance l’un de l’autre sur le territoire d’une même paroisse.

L’association du nom de la communauté familiale aux termes les Cours et la Maison, peut indiquer le lieu où elle s’installa. Le nom de famille s’associe enfin au suffixe de possession erie ou ière.
Mais l’association du nom de famille à ces dernières terminaisons n’implique pas obligatoirement la présence d’une communauté taisible en un lieu donné ; car ces communautés purent ne pas transmettre leur nom à l’habitat ; enfin, la disparition des habitats patronymiques diminue la documentation, et par là leur possibilité d’étude.
La concentration de terres entre les mains d’une même famille fait attribuer le nom de cette famille à l’ancien nom de l’habitat, sans phénomène communautaire.

La destruction de l’habitat communautaire : les titres de propriété indique le passage du bâti au non bâti.
Entre la Champagne berrichonne aux horizons découverts et les pays forestiers cloisonnés qui l’entourent, Boischaut Nord et Sud, Pays Fort, Val de Germigny, les contrastes sont grands. Au Nord, la limite que forment Rouvres-les-Bois, Guilly, Liniez, Bagneux, Genouilly cerne la Champagne berrichonne en séparant les habitats de villages de champ ouvert de Bretagne, Ménétréol-sur-Vatan, Giroux, des petits hameaux familiaux de la région de Rouvres, Guilly, Liniez, disséminés au milieu d’un paysage de gâtine, bocager et forestier, contact brutal sans transition.
Liniez est une enclave d’habitats patronymiques en petits hameaux dans un paysage de champ ouvert à villages et à domaines dont le semis des habitats taisibles rompt la monotonie. Ces aires de communautés taisibles s’isolent dans le paysage rural, sans rupture.
Un centre à taux élevé et des zones périphériques à intensité plus faible : l’action de la communauté taisible s’affaiblit sur les marges des régions lorsque les habitats patronymiques plus diffus se mêlent aux autres formes de l’habitat rural.

Défrichement paysan aux XVe et XVIe s., et communauté taisible.

1 Origine de la communauté taisible.

Début XIVe s., les communautés familiales sont rarement connues en Région Centre, y compris dans les régions boisées où elles se développèrent par la suite. Au cours de la crise provoquée par la guerre de Cent Ans, les communautés semblent inconnues. Au moment de la remise en valeur, les pionniers qui vinrent relancer l’exploitation semblent être des chefs de famille qui purent conserver avec eux certains de leurs enfants devenus adultes et même mariés. En effet, ces pionniers disposaient de vastes tènements qui en regroupaient souvent plusieurs connus fin XIIIe s. ; mais il n’y avait pas alors véritablement communauté puisque les biens appartenaient au père.

Vers 1450, les documents parlent souvent de ces communautés et indiquent fréquemment que la communauté familiale renferme la majorité des habitants du hameau. Quand les enfants des pionniers se trouvèrent confronter au problème de la succession paternelle, ils préférèrent souvent conserver l’unité du domaine et vivre en communauté ; l’accroissement démographique devait réaliser un équilibre entre les besoins de l’homme et la production de la terre. Par la suite, la société passa à un état de surcharge qui provoqua des tensions auxquelles les communautés durent trouver une réponse ; d’où les textes coutumiers qui formalisent une situation de fait en la transformant en statut juridique. Les différentes Coutumes qui en traitent soulignent la diversité des situations antérieures, adaptées au besoin de ces sociétés rurales. La terre est donc le facteur essentiel dans le mouvement quantitatif de ces communautés taisibles.

Région d’habitat dispersé, où le gros village reste l’exception et où la communauté villageoise apparaît peu dans les textes ; le seul groupement paysan qui manifeste sa présence constante est celui de la famille élargie et solidaire. Ce groupe occupe précisément un lieu que les textes latins du XVe s. appellent mansus et les textes français du XVIe s. villaige, mais que l’historien traduit par hameau ou écart, et qui demeure l’élément le plus caractéristique de l’habitat rural de ce type de région. Ainsi la communauté dut-elle s’installer en maîtresse dans son hameau et sur ses terres, comme pour s’y isoler. Elle marque toujours de son sceau la vie et l’espace de ce type de régions.

En conséquence, la période 1450-1550 qui suit la reconstruction du paysage rural voit dans la Région Centre l’apogée des communautés taisibles ou cachées, et non la crise ou la phase de cette reconstruction proprement dite.

2 Statut juridique de la communauté taisible.

Dans la Région Centre, seules les Coutume de Berry, de Bourges, de Chartres, de Montargis, de Châteauneuf et de Dreux connaissent ce type de communauté.

Coutume de Berry. Titre VIII Art. 10 De la communauté taisible.
Frères ou sœurs, ou autres demeurans ensemble, vivans à mêmes dépens, ne sont pourtant réputés avoir contracté entr’eux communauté. Toutesfois si avec lad. habitation, demeurance, et dépense commune, y avoit communication de gains, profits et pertes, par an et jour, entre personnes capables à contracter société, par ce seroit induite taisible société entr’eux, quant à la communication des meubles, et conquests faits et acquis durant et constant lad. taisible société.

Taisible dérive du verbe taire, en construction transitive, au sens de ne pas exprimer, cacher quelque chose. Il s’agit d’une communauté de fait que le droit positif intégra dans la Coutume. Cet article découle de l’ancienne Coutume de Berry, Titre 22, chapitre 149 et 151 ; il est repris dans la Coutume de Bourges, art. 4, et dans celle de Mehun-sur-Yèvre, titre 9, art. 3.
Pour la Coutume de Berry, la communauté taisible est une famille élargie réunissant dans un même groupe domestique une famille conjugale et des membres associés par un lien autre que familial, ou bien regroupant en un même foyer plusieurs familles apparentées par le rang ou par alliance.

La communauté taisible est en fait la réunion sous un même toit d’un groupe de personnes unies par les liens du sang ou par alliance, vivant en commun au même pot et au même feu, et exploitant en commun un patrimoine indivis transmis intégralement de génération en génération. Ses éléments constitutifs sont la mise en commun de la propriété, du travail et de la vie.

Il existe 2 sortes de communautés ou société taisibles, l’expresse et la tacite. L’expresse se contracte par convention expresse, par contrat, en présence de notaire et de témoins :
Acte de société entre Pierre Girard et Lansson, laboureurs à Saint-Doulchard, qui mettent en commun tous leurs meubles présents et à venir, ainsi que les immeubles qu'ils pourront acquérir par la suite durant leur communauté, s'engageant à continuer à demeurer à Saint-Doulchard pendant ce temps, chacun des associés ayant une part d'autorité égale dans la direction de ladite communauté, 1577 (A.D. 18-E 1592).
La tacite se contracte par voie de fait, comme par mélange de biens, sans convention, car il n’importe pas que les hommes déclarent leur volonté par paroles ou par faits et actions. Si les paysans berrichons faisaient des sociétés par contrats de mariage, ou autres, par lesquels ils contractent communauté ou société, non seulement de meubles et acquêts, mais encore de tous meubles et immeubles présents et à venir, dans laquelle entre non seulement les biens qu’ils possèdent lors du contrat, mais encore qui leur échet par successions et autrement, il faisait encore plus une société taisible qui supposait la demeure que les parties font en une même maison, vivants à même table, pot et feu, en communication de gains et pertes et mélanges de biens. Quoique l’ancienne Coutume de Bourges, titre des mariages, n’admet pas cette société taisible, mais seulement celle convenue par exprès, néanmoins la Coutume de Berry de 1539 l’approuve et l’autorise en cet article lorsque les frères et autres demeurant ensemble, vivent à mêmes dépens, en communication de gains, profits et pertes, au moins par an et jour, entre personnes capables de contracter une société ; et cette demeure, dépense commune et communication de gains, profits et pertes induit entre eux une société de meubles et conquêts fait durant la société.

Frères ou sœurs ou autres. La Coutume souligne que cette société semble se contracter plus ordinairement entre frères et sœurs qu’entre autres personnes. Les termes ou sœurs ou autres furent ajoutés dans la nouvelle rédaction de la Coutume de Berry. Dans cette rédaction finale, elle admet que la communauté taisible a lieu tant entre frères, sœurs et autres parents, et même entre étrangers qui demeurent ensemble et vivent en communication de gains et pertes.

Pour qu’il y ait communauté taisible, il faut connaître l’intention de ceux qui demeurent ensemble : si un père retient son fils avec lui, par affection paternelle, si le fils loge son père âgé, valétudinaire et incapable de travailler, et le nourrit par affection filiale, il ne peut y avoir de société ; les enfants en puissance paternelle, les parents et autres personnes nourries et entretenues par affection gratuite, pitié ou service, ne peuvent donc acquérir communauté avec une personne qui s’occupe d’elles, s’il n’y a une convention expresse faite pour cela. Au contraire, si, outre la demeure commune, il y a communication de profits et pertes, la communauté taisible existe, sauf déclaration contraire par écrit, laquelle suffit pour empêcher la communauté taisible, en quelque temps qu’elle soit faite.

Ne sont pas réputés avoir contracté communauté. La société exige plus que la demeure et dépense commune, selon la disposition de la Coutume de Bourges, art. 4, qui porte : Demeurans, beuvans et mangeans ensemble, ne sont pourtant uns et communs en biens ; car par la coutume, pour demeurer ensemble, on acquiert communauté s’il étoit exprès dit et accordé.

Y avoit communication. La communication de gains, profits et pertes, est le fondement de la communauté tacite, et la fait présumer.

Capable de contracter société. Tout majeur et autre étant à ses droits, sont capables de contracter société. Ainsi le mineur sous puissance de tuteurs ne peut contracter société, parce que toute société et communication de biens emporte aliénation. La femme peut contracter société du consentement de son mari, mais si après la société contractée entre 2 frères, ou expresse ou taisible, l’un d’eux se marie, sa femme ne serait commune qu’avec son mari ; mais aussi en cas de partage, celui qui se marie reprendra avant led. partage, la dot de sa femme et tout ce qu’il justifiera qu’elle a porté en la maison commune, suivant l’ancienne Coutume de Berry, chapitre 151.

Par an et par jour. Et non par demeure d’un moindre temps.

De meubles. Présent et à venir.

Conquests. Faits durant la société seulement ; les héritages donnés par donation entre vifs ou à cause de mort, par les collatéraux, sont réputés acquêts et entrent en la société, si ce n’est qu’ils eussent été donnés pour demeurer propres au donataire, ce qui empêche qu’ils n’entrent en la société. Autre chose est l’immeuble donné en directe, qui est toujours censé propre.

Art. 20 Les société et communautés conventionnelles, expresses ou taisibles, induites par demeurance et dispense commune, et communication de tous gains et profits, se continuent entre les successions et héritiers prédécédés, en ligne directe ou collatérrale, majeurs ou mineurs, jusques à ce qu’il y aura inventaire fait par les survivans, et partage ou offre de partage, ou autre déclaration expresse de volonté par lesd. Survivants qu’ils n’entendent persévérer en la société contractée avec les prédécédés ou taisibles déclarations, en se séparant par le survivant de demeure et négociation des héritiers des prédécédés, après led. inventaire fait ; et seront lesd. Déclarations expresses signifiées ausd. Héritiers ou à leurs tuteurs ou curateurs, s’ils sont mineurs.

Nouvel article, ampliatif de l’ancienne Coutume, qui précise la continuation de communauté entre associés.
La continuation de la société ne peut s’accepter pour un temps. Si le mineur peut arrêter la communauté, il doit l’accepter pour tout le temps ou l’arrêter au jour du décès du prédécédé.
Conventionnelle. L’art. 19 traite de la continuation de la communauté conjugale, celui-ci de toute sorte de communauté : expresse et taisible, qu’il fait continuer entre le survivant des associés et les héritiers du prédécédé ; la Coutume comprend donc toutes sortes de communautés conventionnelles, expresses ou taisibles, y compris pour les propres du prédécédé, car si les propres étaient exceptés, ce ne serait pas faire continuer la communauté générale conventionnelle de la manière qu’elle fut contractée, et ce serait plutôt en introduire une nouvelle toute différente, quoique par la disposition de l’article la communauté continuée et les enfants ne souffrent aucun préjudice, ayant la liberté de continuer la communauté ou de l’arrêter au jour du décès du prédécédé, s’ils y trouvent leur avantage.

Art. 21 Payement fait à l’un des associés et compagnons en tous biens, ou en une ferme et marchandise, par les redevables à icelle, délivre et acquitte les débiteurs envers les autres, tout ansy que s’il étoit fait à tous lesd. Compagnons ensemblement, pourvu que celuy à qui le payement sera fait, administre les biens de la compagnie.
Cet article indique comment doit se faire le payement fait à l’un des associés pour la société. Le payement doit se tourner au profit des associés, mais si le payement se fait à un associé n’ayant charge des autres, ou n’administrant pas la société, il ne libère pas.
Ce modèle patrimonial oblige à l’indivision et à la vie commune. Il confond à l’intérieur du ménage les fonctions de propriété et de production, puis transmet dans son intégralité le patrimoine commune du groupe taisible. Il s’oppose à la communauté où les fonctions de production et de propriété sont séparées, et à celle où la transmission de l’héritage s’accompagne d’un morcellement du bien meuble et immeuble.

Coutume de Chartres.
Coutume de Châteauneuf .
Coutume de Dreux.
Coutume de Montargis.

L’origine de la communauté taisible correspond toujours à une reconnaissance de biens effectuée par le chef de famille ; celle-ci sert d’ancrage aux acquisitions futures de la terre et fixe l’habitat de la communauté. L’association se réalise ensuite en toute liberté, sans force ni contrainte.
Avant de fonder la communauté, le groupe primitif peut aussi procéder à des reconnaissances de pièces de terre ; puis l’association de familles parentes et l’entrée dans le groupe de nouvelles familles issues des mariages des enfants, fait passer le groupe familiale au stade de la communauté taisible par intégration des différentes familles qui la composent. Ainsi se mêle la communauté tacite et la communauté expresse ou par contrat de fondant l’association sur un acte notarié. L’apparition de cette communauté contractuelle, forme moderne de l’exploitation, s’explique soit par la volonté de prolonger une expérience de communauté taisible, soit par le souci de définir la part de chacun des ses membres.
L’importance des biens possédés par le groupe domestique, la crainte de perdre la part de bien que chaque membre apporte, l’éventualité d’une dissolution précoce de l’association qui entraînerait une répartition égalitaire de l’avoir commun, peuvent expliquer en partie la généralisation des actes notariés de fondation de communauté.
La communauté taisible est à l’origine du hameau, habitat groupé ou dispersé.

3 Communauté de travail.

Il s’agit d’une association temporaire de plusieurs personnes ou familles ayant ou non entre elles un lien de parenté, créée dans le but d’exploiter un bien loué. Toute une série de baux divers : emphytéotique, de 3 âges et de 3 vies, à métairie de 3 à 9 ans, associent ainsi de 2 à 5 familles par exploitation.

Cette communauté laisse à ses membres une certaine liberté : elle peut exclure la communauté de biens, source de contraintes, chacun conservant le peu qu’il possède à titre personnel. L’acte peut prévoir la répartition du produit du travail en fonction des investissements de chacun dans l’association : le tiers de la récolte en grain étant réservé au payement des cens et frais divers, et le reste partagé suivant la part de chacun sur le fond et les immeubles.

Fondée sur le respect du contrat conclu entre 2 parties dont celle du preneur s’engage à exécuter les clauses précises, la communauté se doit de conserver un potentiel de main d’oeuvre suffisant pour assurer l’exploitation du domaine.

La communauté de travail constitue une forme de communauté association pour l’exécution d’un contrat d’exploitation différente dans sa nature et dans sa finalité de la communauté taisible de propriétaire ou communauté patrimoniale.

4 Relation entre les communautés taisibles et de travail.

3 phases historiques se dégagent :
- avant 1600. Grand développement de la communauté taisible ou patriarcale. La parenté est le fondement des structures de la famille élargie et l’association de type communauté de travail reste peu représentée.
- XVIIe et XVIIIe s. Les 2 formes se juxtaposent : celle de travail s’impose de plus en plus à cause de sa souplesse d’adaptation aux transformations de l’économie rurale. Entre 1610-1620, alors que se rompent la plus part des communautés taisibles, se développent les formes d’exploitation domaniales et s’affirment les associations de travail de grangiers.
- XIXe s. Dès 1800 disparaissent les dernières manifestations de la communauté taisible de la Coutume de Berry et s’impose la communauté conjugale prévue par le Code civil. La communauté de travail, forme moderne de groupement, s’affirme dans chaque région tandis que la survie des communautés taisibles se limite aux régions où les conditions naturelles et socio-économiques favorisent le maintien des structures patriarcales.

Dans la réalité, les 3 types des 3 périodes s’imbriquent, la phase du développement initial de la communauté taisible pouvant se prolonger jusqu’à la fin du XIXe s. sous forme de tontine.

5 Structure et taille des communautés.

La famille élargie ou maisonnée se constitue toujours d’un nombre important de personnes.

Structure du groupe domestique.
A l’origine, la famille conjugale se fortifie par l’entrée d’autres familles dans l’association. Dans ce cas, la communauté conserve comme nom patronymique celui de la famille original et s’accroît numériquement par anneaux en ajoutant de nouvelles familles à celle initiale : fils et fille qui se marie et qui reste avec leurs parents. Telle est la composition la plus fréquente des communautés antérieures à 1600. Les communautés se constituent donc le plus souvent par juxtaposition de familles sans lien de parenté : une des familles donne à la communauté taisible le nom ou le surnom de son chef et la communauté s’agrandit selon des mécanismes comparables à ceux du cas précédent ; mais la mobilité de ses membres est plus forte.
Une telle structure implique que les membres portent le même nom patronymique.
Dans la constitution de communautés taisibles, la tendance à l’association de plusieurs frères et sœurs comme base du groupe domestique est fréquente et correspond aux règles énoncées par la Coutume de Berry.

L’apport de familles extérieures à la communauté est très net dans le cas de la communauté de travail. Si la communauté taisible renouvelle elle-même sa population et constitue un réservoir de main-d’oeuvre dans lequel elle puise les spécialistes dont elle a besoin en les formant au sein du groupe ou bien fait entrer dans son groupe par mariage les personnes qu’elle juge utile à son développement, au contraire, la communauté de travail conserve les différentes familles qui la composent : elle reste hétérogène, tempérée par les manifestation d’individualisme de ses membres. Le fils du métayer la quitte tôt pour se louer dans une métairie voisine, y faire son apprentissage, puis prendre à bail la métairie qu’il exploitera à son compte. Quant à ses parents, ayant atteint un certain âge, ils se retirent dans une locature pour y terminer leur existence hors de la communauté de travail.
Cette communauté fait donc appel à des personnes extérieures au groupe pour renforcer son potentiel de main d’oeuvre, utilisant en permanence domestiques et artisans, et temporairement des journaliers. Ces derniers pallient l’insuffisance numérique de la communauté et grossissent temporairement ses effectifs.
La communauté de travail peut posséder une forte cohésion lorsqu’elle résulte de l’association de familles appartenant à des communautés différentes, ultérieurement unies par des liens de parenté, des mariages internes associent des membres de ces communautés.

6 Taille des communautés taisibles.

Par sa structure, la communauté taisible concentre en un lieu des personnes vivant en commun au même foyer. Organisme vivant, de structure évolutive, cette communauté se caractérise par une fluctuation du nombre de ses membres selon les phases de sa vie : croissance, puis situation étale tant que se maintient le seuil du maximum de population que peut contenir le groupe. La rupture de cet équilibre est en général suivie de la reconstruction de la communauté jusqu’à ce que la pression démographique soit à l’origine d’une nouvelle crise.
Enfin, sa taille est en relation directe avec la superficie de l’exploitation et avec le système de production : chaque unité de production imposant un minimum et un maximum de main-d’oeuvre.
En Boischaut Nord, en 1479, les communautés serves du terrier du prieuré de Rouvres-les-Bois, se présentent sous la forme de groupes domestiques dépassant fréquemment 20 personnes :
- à la Chippaudière, la communauté serve des Chippault regroupe les familles de 4 frères : celle de Jehannin Chippault, 60 ans, forte de 7 personnes ; celle de Jehan Chippault, 58 ans, 8 personnes ; celles de Philippon, 52 ans, et Denis Chippault, 50 ans, composées de 8 et de 10 personnes ; soit 33 membres (A.D. 36-H 789).

Communauté de travail.
La moyenne varie entre 12 à 15 pour les plus petites, et 20 à 25 pour les plus grandes. En Sancerrois, en 1861,
- les domaines des Blandins et des Pelletiers ont respectivement une communauté de 17 et de 12 personnes.
- aux Michaux et aux Rousseaux, commune de Clémont, 2 maisonnées de 14 et de 13 membres.
La concentration de population apparaît ainsi comme le trait majeur des exploitations domaniales : ses effets se prolongent jusqu’au XXe s., avec un nombre élevé d’enfants.
En Sancerrois, commune de Barlieu, vers 1850
- aux Dagorets, la communauté de 16 personnes se compose de 8 membres de mois de 20 ans.
- aux Ragus, la famille de métayers de 14 personnes comprend 7 jeunes.
Soit un pourcentage de 50 %.

Ces exemples illustrent la complexité des structures familiales. Si les documents permettent de préciser à date fixe le nombre des personnes qui composent le groupe domestique, l’évolution de la structure familiale modifie la taille et le nombre de familles qui composent l’association.

Si la taille moyenne des ménages communautaires peut s’évaluer de 10 à 15 personnes, le nombre moyen de personnes par famille composant la communauté se comprend entre 3 et 6 personnes. Cette dernière apparaît plus comme une association de familles de taille réduite que comme une famille patriarcale élargie.

7 Communauté de vie.

La Communauté taisible oblige à la vie commune, au même pot et au même feu, sous la direction du maître, chef de communauté, puisque chaque membre apporte son travail en échange du logement, de la nourriture et de l’habillement. Ainsi, l’espace domestique de la communauté taisible se délimite par les obligations que crée la cohabitation : le symbole en est la grande maison commune qui rassemble sous un toit tous les membres du groupe domestique, ayant en son centre la grande pièce commune ou chauffoir, allongée, flanquée de petites chambres réunissant les membres de chaque famille. Cœur de la communauté, cette pièce est un trait d’union entre les différentes générations par ses fonctions multiples :
- lieu de réunion des membres du groupe domestique
- lieu où se prend en commun le repas, où se déroule les veillées à l’écoute des récits des étapes et des faits de l’histoire de la communauté.
Mais la vie en commun peut s’affirmer hors de cette grande maison commune, lorsque les différentes familles composant le groupe domestique occupent plusieurs bâtiments séparés d’une même exploitation, autour d’une cour commune ou du chemin qui traverse le lieu-dit.
En Boischaut Nord, au XVIe s., les 30 personnes de la communauté des Chippault se répartissaient en 3 maisons d’habitation dans le hameau familial qu’elle constitue à elle seule.
Quelque soient les modes d’aménagement de la vie collective, la maison reste la cellule de base de la communauté.

La nécessaire organisation de cette cellule économique importante, la diversité des tâches de la communauté, l’obligation pour le groupe d’être représenté par un de ses membres en certaines circonstances, expliquent la fonction de maître, chef de la communauté. Cette fonction s’associe au changement de structure du groupe domestique dû à son agrandissement par l’apport de membres extérieurs.

Jusque vers 1600, les communautés se constituent de personnes qui portent le même nom patronymique : le chef de famille s’identifie alors au chef de la communauté et reconnaît bien et dettes, tant en son nom qu’au nom de ses commungs parsonniers. Progressivement, la transformation de la communauté aux XVIIe et XVIIIe s. fait apparaître dans les actes notariés la mention de plus en plus fréquente de chef de communauté : personnage symbolique, chef de famille des 1res communautés, il devient progressivement un personnage à fonction économique. Sa désignation procède par acceptation tacite ou par élection. Si l’élection confirme l’autorité et les pouvoirs du maître, elle implique sa responsabilité et définit ses rapports avec le groupe économique : l’élection correspond en réalité à un contrat passé entre le chef et les membres de la communauté. Souvent le chef dirige la communauté jusqu’à sa mort ; cette maîtrise est donc confiée au plus habile, homme ou femme.

La recherche d’une autorité ferme exerçant la direction de la communauté est une des caractéristiques de ces structures communautaires : le maître de communauté apparaît d’ailleurs plus comme un homme responsable et un administrateur du groupe que comme un chef autoritaire et personnel.

Communauté de biens.
De la communauté de vie découle la possession et l’exploitation en commun de biens indivis. Patrimoine collectif intangible, ces biens sont comme en mainmorte puisque le départ d’un membre du groupe n’entraînent ni la dissolution de l’association ni le partage des biens de la communauté.

8 Indivision des biens.

La confusion des biens meubles et immeubles à l’intérieur de la communauté est l’obligation essentielle prévue par la Coutume. Lors de sa constitution expresse, ce principe est toujours énoncé dans les actes notariés. Cette communauté de bien entraîne logiquement une répartition égalitaire du patrimoine foncier. Chaque parsonnier dispose en théorie d’une portion égale des biens, le patrimoine se subdivisant en têtes ou parts servant de base au partage des biens lors de la rupture de la communauté. Par tête, il faut entendre la part qui revient à chaque membre :
- tête vive ou part effective du parsonnier vivant dans la communauté.
- tête donneuse lorsque la part du parsonnier décédé est réservée à ses enfants demeurant dans la communauté, pratique qui élimine toute demande de partage.
La notion de tête consolide la cohésion du groupe domestique en réglant à l’avance un éventuel partage des biens patrimoniaux. Parfois seuls les hommes font tête, les femmes étant exclues. Parfois au contraire chaque couple constitue 2 têtes, certaines communautés associant même les enfants dans le calcul des parts. Chaque formule résulte donc de la volonté des contractants de la communauté. L’évolution numérique de la communauté modifie en outre le nombre de têtes selon les époques.
Une fois constituée, la communauté de biens s’agrandit des nouveaux membres à leur entrée dans le groupe domestique. Les documents notariés insistent sur cette obligation. Mais une évolution sensible se dessine au cours du XVIIe s. : les contrats de mariage soulignent l’affirmation d’une propriété individuelle de type conjugal, conjointement à la propriété du groupe domestique ; quelle que soit son importance, cette réserve échappe au contrôle de la communauté et joue nécessairement un rôle dans l’évolution de la communauté taisible.

9 Propriété individuelle.

Son origine est diverse :
- la réservation à titre personnel d’une partie des biens au moment de la conclusion de l’association ou de l’entrée dans la communauté.
- l’acquisition à titre personnel réalisée par un membre de la communauté pendant l’association.
L’importance des biens personnels peut donc modifier la structure des nouvelles exploitations issues du partage des communautés.

Communauté de vie, de possession, d’exploitation, la communauté taisible constitue une cellule isolée à forte autarcie, originale par sa structure sociale où s’exprime une cohésion de la famille autour du chef de la communauté, et par sa structure économique fondée sur la possession en commun d’un bien indivis et sur une forme collective du travail.
Ce groupement domestique organise ainsi une architecture particulière dans un espace géographique commun.

Évolution de la communauté familiale.

L’évolution indépendante de chaque région interdit la synthèse d’une définition de phases globales dans le développement des communautés. Les cheseaux familiaux de la région de Saint-Martin-d’Auxigny et des Aix-d’Angillon se fondent entre 1610 et 1620 (A.D. 18-L 3 C 13, Seigneurie de Boisbelle). Ce phénomène complexe doit donc son existence à la conjonction favorable de divers facteurs.

1 Contraintes du milieu naturel.

La nature des sols introduit un facteur sélectif dans la localisation de l’habitat. Les sols siliceux, lourds et humides qui se recouvrent naturellement de taillis, récemment défrichés ou portant encore la marque d’une extension ancienne de mise en culture, correspondent à la zone d’expansion du peuplement par groupes domestiques, comme ils le furent dès le XIIe s. par les groupes monastiques. Ce type de peuplement reste quasi inconnu dans les régions situées hors de ces sols. Dans le détail, les habitats patronymiques se fixèrent sur les sols de plateaux, de massifs forestiers et de dépressions.
Les grandes masses forestières constituent ainsi le cadre du développement des formes de vie collective. Milieu défavorable, la forêt impose à l’homme ses servitudes et ses exigences.

Le poids des servitudes physiques se lit dans les baux : difficultés pour défricher le sol, irrégularité des récoltes, impossibilité de mettre en culture toute la superficie concédée, lutte contre les accrues qui empiètent sur l’espace cultivé et contre le retour trop rapide de la forêt. Les sols compacts et humides, favorables aux taillis, donnent de mauvaises terres arables ; leur texture sablo-limoneuse de surface, leur faible porosité, les rendent très sensibles aux variations atmosphériques. En période humide, les sols hydromorphes gorgés d’eau ont un drainage interne imparfait qui entraîne une quasi permanence de saturation ; en été, ils s’assèchent vite et deviennent d’autant plus durs que le substratum libère peu d’eau. 2 situations qui réduisent leurs aptitudes agricoles. D’où la nécessité de grandes superficies en terrain mauvais pour assurer la subsistance du groupe et la rentabilité de l’exploitation.

Les sols lourds à excès d’eau en certaines saisons, exigent de gros efforts pour leur mise en valeur, de puissants attelages et une certaine technique dans les façons culturales ; leur hydromorphie rend difficile les travaux et les charrois, réduit la gamme des cultures, s’oppose à des récoltes régulières de céréales. Le travail des sols acides entraîne une dégradation des sols accompagnée d’un glaçage en cas de culture régulière des terres. Par leurs défauts agricoles, ces terres tardèrent à être défrichées : seul le groupement de main-d’oeuvre de la communauté familiale permit leur mise en culture.

Le recours au groupement peut s’expliquer ensuite par la nécessité d’une maîtrise de l’eau rendue obligatoire par le drainage constant du sol : la création et l’entretien des fossés pour évacuer l’eau que la communauté de travail peut assurer plus facilement dans le cadre d’une grande exploitation. Enfin, le système de production extensif, la faiblesse des rendements en économie céréalière, l’assolement biennal sont seuls concevables pour ce type d’exploitation.

La nature de la production agricole fondée sur la production céréalière, explique le regroupement de main-d’œuvre dans la cellule domestique élargie à plusieurs familles. Beaucoup d’actes notariés témoignent de l’importance des céréales dans le système de production des communautés ; le seigle surtout, dont les avantages justifient l’extension de sa culture : bonne adaptation aux sols acides sablonneux peu profonds, résistance supérieure à celle du blé, cycle végétatif de durée inférieure qui permet une moisson plus précoce. Ces facteurs expliquent l’importance de la culture du seigle dans les exploitations tenues par les communautés taisibles en Berry. Ce phénomène frappa Arthur Young et se prolongea au XIXe s.
L’association peut s’avérer nécessaire lorsque s’affaiblissent les forces de production ou se modifient les conditions d’exploitation.

Toutes ces raisons convergent pour attester le retard de la mise en valeur des pays de forêt qui subsistent comme tels après les grands défrichements du XIIe s., par les groupes d’agriculteurs. Il subsistait ainsi une large étendue de pauvreté paysanne de la Brenne au Boischaut Sud.

Communauté taisible associée à la reconstruction et à l’extension tardive des terroirs.
Les circonstances historiques favorisèrent la reconstruction des finages à partir de 1450, puis la vague de défrichements tardifs de 1480 à 1580.

2 La communauté taisible, facteur de repeuplement et de reconstruction des terroirs.

Bien qu’il soit difficile de connaître les effets destructeurs de la peste et de la guerre de Cent Ans en raison de leur caractère souvent très local, beaucoup de documents notent l’état d’extrême pauvreté après les conflits. Les textes mentionnent de nombreuses terres en désert, vides, des habitats ruinés et un abandon des terroirs par leurs habitants. La forêt dut reprendre le dessus sur l’espace cultivé depuis le XIIe s. A Beaulieu, Loiret, le nombre de feu passe de 145 en 1391-1393 à 79 en 1407-1408 (A.D. 45-Beaulieu, Le pays et les hommes).

La reconstitution des terroirs agricoles impliquait l’appel à une main-d’œuvre importante par le recours à des formes d’association : à ce titre, la communauté taisible répondait aux exigences de la reconstruction des paysages. Par des baux à long terme concédés à des groupes domestiques, se réalisa dès 1450 un mouvement de remise en ordre des terroirs et de reprise des territoires repris par la forêt. Les actes montrent les formes diverses de mise en valeur, depuis l’exploitation familiale de taille moyenne à la grande exploitation qui, sous le nom de grange, de gaignerie ou de métairie, rassemble un potentiel important de main-d’œuvre.
Le rôle des tailles de Beaulieu, confirme ce fait par le nombre des côtes :
- 57 en 1459-1460
- 174 en 1490-1491
- 302 en 1507-1508
- 370 en 1527-1528
Cet exemple se confirme par l’évolution identique à Lury-sur-Arnon, et atteste de l’importance de la reconstruction des finages.
Cette reconstruction permit au seigneur de fief de rétablir à son profit le système économique fondé sur la perception des cens et des rentes, et sur la domination de vastes espaces par l’intermédiaire des terres et des granges dont il confia l’exploitation aux communautés de travail : la mutation des structures villageoises et l’affaiblissement des communautés paysannes favorisèrent cette tendance.
En Champagne berrichonne, les baux à métairie favorisèrent cette restauration. En 1472, les religieux de l’abbaye de Saint-Hippolyte de Bourges obligent Jean, Alabert, Guillaume et Perrin Perriquet, frères et enfants de défunt Guillaume Perriquet, appelé Pipou, de rebâtir la métairie de Saint-Hippolyte : Il a esté expressément conclu entre les nous et led. Perriquet pour lui et ses héritiers que lui et ses frères seront tenus d’édifier ou faire édifier à leurs propres frais dans un délai de 3 ans dans une certaine surface et sur des murailles existant dans le chezal sud. lieu dans lequel il y avoit d’habitude une grange qui est récemment tombée en terre, une bonne grange nouvelle de la mesme longueur et largeur (A.D. 18-8 G 2320).
En Brenne, la réorganisation des finages se fit par l’intermédiaire des domaines aménagés sur les friches.
Mais ce phénomène doit se nuancer dans ses effets, car les conditions économiques influencèrent les politiques de reconstruction : les communauté portèrent d’abord leurs efforts sur les régions abandonnées les plus riches, délaissant les sols de plus faible rentabilité ; il faut voir dans ce choix le faible développement des habitats patronymiques à l’intérieur de ces régions.

3 La communauté taisible, facteur du 1er repeuplement et de défrichements tardifs.

La déforestation doit se comprendre plus comme la remise en valeur d’anciennes régions de culture gagnées par la forêt à la suite de la période d’abandon pendant la guerre de Cent Ans, que comme le défrichement de massifs forestiers originels, comme le montre l’importance des superficies mises en culture.
Certes, le seigneur put concéder aux défricheurs, à certaines époques, des cantons de forêt, mais ce type de concession reste limité, le seigneur ayant l’habitude de se réserver de grandes zones forestières difficilement cultivables pour son usage personnel.

Ces défrichements concernent donc soit d’anciennes clairières, soit les marges des massifs forestiers, soit des zones de végétation mixte, forêts-broussailles et forêts secondaires s’appuyant sur des massifs principaux. Souvent le mécanisme de mise en valeur est tardif et transforme l’aspect de l’ancien paysage rural.

Ces communautés se développent donc surtout, mais de façon différente, à l’intérieur des régions neuves, délaissées jusque là par le paysan. Ces différences s’expliquent par la nature des terroirs :
- dans les régions de mise en valeur précoce, le développement des communautés familiales est freiné par l’emprise du terroir déjà cultivé qui laisse peu de place pour leur installation.
- dans les régions d’exploitation extensive longtemps mises en réserve, apparaissent de nouveaux territoires agricoles conquis par les communautés taisibles.

Une remise en valeur tardive des terres peut aussi se confondre avec un défrichement de nouveaux territoires. En Pays Fort, la région d’Allogny, Saint-Martin-d’Auxigny, de Saint-Palais et de Quantilly offre ce type d’aménagement à l’emplacement de la forêt de Haute-Brune. En effet, cette région offre la création récente d’habitats patronymiques à noms caractéristiques : les Dubois, les Gaillards, les Girards, correspondant tantôt à la reconstruction d’anciens chezeaux gagnés sur la forêt, tantôt à des essartements XVIIe s. pratiqués par les Forêtains ou gens de la forêt. En 1615, le dénombrement des chezeaux de la seigneurie de Baugy relève 10 exploitations dont 7 à nom patronymique ; celui de 1680, 47 dont 14 à nom patronymique : celles des Prévosts, des Rousseaux et des Sagets sont exploitées par des communautés (A.D. 18-Dénombrement de Saint-Martin-d’Auxigny). L’intensité de la mise en valeur caractérisée en 50 ans par le doublement des exploitations communautaires est à mettre en relation avec l’accroissement démographique entre 1600 et 1650. Sur la terre de Boisbelle, elle s’évalue à 300 % et coïncide avec le développement des familles élargie, puis s’affirme par la multiplication par 4 du droit de novales perçu par le clergé sur les terres nouvellement défrichées ; du reste, la majorité des concessions sont assorties de l’obligation de défricher et d’y bâtir ou d’y rebâtir.
Ce défrichement correspond aussi, comme au XIIe s., à la volonté du seigneur d’accroître ses revenus, non pas par suite d’une crise économique, mais plutôt en période de croissance pour mieux rentabiliser sa terre à vocation agricole. En effet, les cens constants fixés à perpétuité ne pouvaient suffire dès le XVe s. à couvrir les besoins de la seigneurie : la concession de nouvelles terres et l’utilisation de terres restées jusque là en réserve, augmentaient le nombre de tenanciers et par conséquent les rentes que le seigneur percevait, tout en atténuant les effets de la poussée démographique qui commença vers 1450.
En outre, la communauté taisible put répondre à un désir de sécurité pendant les époques de troubles et les années qui les suivirent : le danger, les difficultés économiques et l’incertitude de l’avenir, réels ou imaginaires, durent inciter les membres de différentes familles à se regrouper à l’intérieur d’une cellule plus importante, offrant tout à la fois par sa taille et par sa structure une proie plus facile au pillage, un refuge et une sécurité accrue.
De 1450 à 1530, l’explosion des communautés taisibles en Berry est à mettre en relation avec la nécessité de reconstruire : sans doute la communauté taisible put-elle être antérieure, mais elle se réalise pleinement sous l’effet de ces circonstances, comme en témoigne les articles de la Coutume la concernant. La preuve en est apportée par le retour à la famille conjugale qui se manifeste dans les actes notariés après 1550. De 1450 à 1520, les contrats de mariage font apparaître le renforcement de l’armature familiale par la puissance de la famille patriarcale et par la dissolution de la communauté conjugale dans la communauté taisible, puis par l’abandon des droits et des biens particuliers au profit du groupe et d’une masse indivise ; le couple s’intègre à la communauté en se fondant dans le groupe domestique ou en s’associant aux familles constituant la communauté taisible. Dès 1520 ces contrats affirment la primauté de la cellule conjugale sur la communauté taisible, signe d’un retour à des conditions de vie sans doute plus faciles.
La communauté taisible apparaît ainsi comme la réponse à l’aménagement des paysages en relation avec la mise en valeur d’espaces vacants, de conquête difficile, dans les régions excentrées où elle pouvait créer de nouveaux établissements.
Conditions des personnes et des biens, élément favorable au développement de la communauté taisible.
Les actes notariés mentionnent 2 types de tenures comme générateur de groupement :
- la tenure serve,
- la tenure bordelière,
toutes les 2 pouvant d’ailleurs coexister à la même époque, à l’intérieur d’une même région, au titre de tenue à cens, et passer de l’un à l’autre type.

Servage et mainmorte.

Si le serf mainmortable, par suite de sa servitude personnelle, ne pouvait jouir de la liberté d’acquérir, de contracter et de disposer entre vifs, sa communauté familiale conservait l’usage intégral de ses biens dont elle disposait au moment du décès du chef de famille. La communion de vie au même pot et au même feu assurait seule la transmission du patrimoine dans le cadre d’une même famille serve, en empêchant le seigneur d’exercer son droit de reprise des biens par eschute, droit effectif lorsque le tenancier décédait sans hoirs. Elle atténuait ainsi la rigueur du servage ; ce dernier favorisait donc spontanément de façon taisible la constitution de communautés familiales serves par le simple fait de vie en commun. Mais le maintien de la communauté impliquait que tous les membres restent dans le même foyer, car le départ d’un des associés la dissolvait au nom du principe de droit : un parti tout est parti ; close rigoureuse dont la Coutume de Berry tempéra les effets par son article 20.

Une autre preuve de l’importance du servage est apportée par les Coutumes de Berry et de Châteaumeillant, Art. 18-27, titre I, art. 6.
Si le servage constitue une des explications du développement de la communauté taisible, son inégale extension dans l’espace et dans le temps restreint la portée de ce facteur. Son implantation se fit dans des régions épargnées par le servage comme dans celles où de précoces affranchissement firent disparaître la servitude. Les habitants de Lury-sur-Arnon, Cher, sont affranchis début XIIIe s. et la majorité des autres affranchissements se situent entre les XIIIe et XIVe s., avant la guerre de Cent Ans, à la différence du Boischaut Sud où le servage se maintint jusqu’au XVe s.
Outre le développement du servage, le maintien des formes communautaires peut donc se mettre en relation avec des facteurs historiques, économiques et sociaux.

Bordelage et formes dérivées.

Le bordelage représente le système foncier générateur de communautés taisibles. Il se situe surtout dans la Marche où il porta le nom de taille réelle.
Dans la pratique, le bordelage correspond à une forme de tenure concédée par le seigneur au tenancier, en échange d’une redevance annuelle réglée en argent et en nature ; par son taux invariable de 1, 50 à 2 % de la valeur de la terre, le bordelage constitue une redevance légère, contestée moins par sa lourdeur réelle que par son appartenance au système féodal.

La tenue bordelière ne peut ni se diviser ni se démembrer : elle conserve toute son unité au moment de la succession des biens. Mais sa transmission à la descendance du défunt suppose qu’elle soit son héritière et commune avec le détenteur bordelier à son décès, que cette communauté soit coutumière ou expresse. Le bordelage réunit les conditions de développement de la communauté taisible puisqu’à la communauté de vie au même feu s’ajoute celle des biens, transmissibles en bloc aux descendants.

Le bordelage est à l’origine de la création d’habitats dans les paysages agraires. Il détermine la possession d’un bien qui doit demeurer en bonne possession réelle et actuelle ; il confère le droit de résidence et la possibilité de bénéficier des droits d’usage dans les bois. Il présente l’avantage de fixer en un lieu une famille dont la règle de vie en communauté de feu et de bien est la condition de la transmission intégrale du bien. Ainsi se maintirent par une série de baux à bordelage successifs les mêmes biens dans la même famille.

Sans doute le succès du bail à bordelage fut-il inégal selon les paroisses, car la concession paraissait intéressante pour certains et trop rigoureuses pour d’autres, le détenteur bordelier ne pouvant ni démembrer le fond ni disposer de ses propres améliorations : 2 conditions qui expliquent en partie la transformation de la tenure bordelière en tenure à cens et à rente, plus souple et mieux adaptée aux conditions de l’économie agricole.

Une des raisons de l’importance et du développement du bordelage est la transformation, lors de l’affranchissement, de la tenure servile en tenue bordelière ; mutation dont les effets constituent la prolongation des principes de base de la communauté taisible, vie commune, possession et transmission indivise du patrimoine familial.

Baux à longue durée et à métayage.

Ces types de baux font appel à la communauté de travail.
Le bail emphytéotique ou à 3vies, renouvelable tacitement, confère au preneur une quasi-propriété des biens et au groupe une stabilité.
Le bail à métayage favorise le développement de la communauté de travail dont elle assure la continuité par tacite reconduction du contrat. L’association domaine-communauté de travail constitue une solution au problème de la mise en valeur d’une exploitation exigeant une main-d’œuvre importante, l’utilisation d’un matériel agricole, l’entretien du bétail et la direction d’un chef coordonnant les activités. L’importance et la diversité des tâches agricoles en économie céréalière et d’élevage où les travaux ne s’interrompent pas, justifient la présence d’une communauté de travail de 12 à 15 personnes par exploitation.

Dans le Val de Loire berrichon, le domaine de la Pajarderie, commune de Cuffy, s’exploite par une communauté de 12 personnes vers 1850. Les 72 ha se répartissent en 3 soles :
- 63 % des terres labourables emblavées en blé, avoine et orge.
- 27 % de la superficie totale en prés ou terres momentanément cultivées en herbes artificielles.
- 10 % de l’exploitation en pâtures, prés secs néanmoins permanents.

Parallèlement à la culture s’effectuent les travaux d’amélioration et d’entretien des parcelles du domaine : nettoyage des prés de tous les chardons et de toutes les accrues, entretien des 2 km 500 des fossés destinés à l’assainissement des terres et à l’irrigation, entretien des haies qu’il convient de tailler et de plesser, et de compléter sur leur 3 km 500 de long. En complément, il faut ajouter les travaux généraux d’entretien du matériel aratoire et de conservation des bâtiments par la réfection régulière des toits de glu ; la garde du troupeau souvent confiée aux enfants de 10 à 15 ans, sous la direction du bouvier. D’où la main-d’œuvre permanente de 12 à 15 personnes en moyenne. Parfois ses spécialistes effectuaient des travaux agricoles délicats :
- le semeur dont dépend la succès de la récolte des céréales.
- le bouvier chargé de l’entretien du troupeau.
- le jardinier spécialisé dans la culture intensive : jardin ou ouche.

Relation entre le seigneur et la communauté taisible.

Entre eux s’établit un tissu de relations fondé sur l’intérêt réciproque d’un accord et sur le rapport des forces en présence.
Tout en contrôlant l’essor des communautés taisibles, le seigneur se révèle souvent favorable à cette institution qui représente une forme de stabilité sociale, financière et foncière, par un apport de redevances en nature et en argent, par le maintien d’un système de corvées à son profit et par la mise à sa disposition d’une force de main-d’œuvre importante dont il tire avantage pour l’exploitation de ses domaines.

La correspondance entre la forme sociale et la structure juridique est évidente puisqu’elle met en parallèle la stabilité sociale que crée l’association communautaire et la stabilité foncière fondée sur le mode de cession des terres par baux à longue durée. Pour expliquer les causes du développement des communautés taisibles dans leur discontinuité spatiale et leur intensité variable, il faut tenir compte :
- des conditions du milieu naturel.
- de l’opposition entre les régions de mise en valeur ancienne, à solide organisation rurale fondée sur l’application de pratiques collectives pour la production, et celles appartenant aux espaces extérieurs non soumis à ces contraintes.
- des structures féodales qui morcellent l’espace rural en fief, de taille variable.

L’importance et la puissance foncière du seigneur, son comportement expliquent les variations dans l’intensité et la nature de ses concessions qui traduisent les différences de densité des toponymes patronymiques ou qui établissent des enclaves dans des régions non pénétrées par les habitats patronymiques, comme à Liniez, Indre, petite cellule féodale située au Nord de la Champagne berrichonne.

II Temps de la rupture.

L’histoire des communautés se jalonnent d’actes de dissolution mêlés à ceux de constitution d’association de durée parfois éphémère. Création et dissolution coexistent du XVIe au XVIIIe s., témoins de leur diversité d’évolution et de durée. Reste souvent une inconnue : la décision de création ou de dissolution que les membres du groupe domestique prennent, soit à l’amiable, soit après un règlement judiciaire.
Seul l’examen des documents notariés et judiciaires confirme la disparition des structures communautaires marquée par un acte de partage des cotes ou par la mention de familles indépendantes issues de l’ancienne communauté. Les disparitions les plus nombreuses se situent entre 1730 et 1750. A une relative concentration des dates d’apparition des communautés taisibles s’oppose une grande diversité des périodes de rupture.

Régions périphériques. Boischaut Nord et Sud, Brenne et Sancerrois.
La disparition du groupe domestique est souvent antérieur à 1550. Après, les textes mentionnent rarement la présence d’une communauté taisible et très souvent celle de travail à durée déterminée ; et rares sont encore présents dans les habitats patronymiques les familles qui donnèrent leur nom à l’habitat ; même si dans le Boischaut Sud et dans le Pays Fort certains secteurs conservent une solide empreinte de la communauté : à Saint-Martin-d’Auxigny se maintinrent tardivement d’anciens nom de famille dérivés des 1res familles communautaires, même en l’absence d’organisation comparables à celles des 1res communautés.

Causes de la rupture des communautés taisibles.

D’une part le comportement interne du groupe domestique dans la société rurale englobante, traversée par ses conflits ; d’autre part les conditions extérieures, économiques et sociales. Mais, d’un commun accord, les membres du groupe peuvent décider de mettre fin à leur contrat d’association.

1 Tensions internes.

Les documents confirment un incessant remodelage de l’association par une adaptation constante aux événements intérieurs qui altèrent son fonctionnement et menacent son unité, comme en témoignent les accords de conciliation passés entre les membres turbulents et le chef de la communauté, le départ de parsonniers et le partage fragmentaire du bien commun.

2 Pénétration du capital bourgeois.

Divers documents de toute époque révèlent la précarité financière de mainte communauté : comme le confirment les prêts, les reconnaissances de dettes, le retard apporté au règlement des sommes dues et des arrérages. Sans doute une mauvaise gestion du patrimoine commun par le chef de la communauté, mais aussi les circonstances de conjoncture nuisibles au développement de la communauté, insuffisance du capital d’exploitation et au numéraire disponible, charges trop lourdes d’exploitation, mauvaises récoltes répétées. Ces difficultés financières reflètent aussi bien les tendances de l’économie générale agricole que les situations locales. L’accentuation des difficultés financières amène le règlement judiciaire de dissolution. La vente par un ou plusieurs membres de part du bien commun à un créancier, provoque l’éclatement de la communauté taisible.

Cette précarité financière se traduit par la réduction de la superficie mise en culture, le mauvais état des bâtiments mal entretenus, et le plus souvent par la rupture de l’association.
Après 1550, la bourgeoisie d’offices et marchande utilisa ces difficultés financières pour pénétrer dans les régions de communautés taisibles : mouvement de portée considérable qui provoqua une mutation de la propriété accompagnée d’un remodelage des structures foncières. La preuve en est visible dans le % de superficie tenue par le bourgeois dans les finages pour l’ensemble des régions de communautés :
- inférieure à 5 % en 1500.
- valeur moyenne de 32 % en 1600.

Entre les mains de la bourgeoisie se concentrent les exploitations domaniales constituées à partir des fiefs et des possessions des communautés taisibles. Pour que se réalise cette appropriation du sol, des conditions favorables au marché des terres se réunissent.
Nécessité de résorber les dettes en vendant une partie de leurs droits ou de leurs possessions. Cette condition se réalise en cas d’affranchissement consentis par le seigneur aux communautés serves. La libération de la terre fit ainsi tomber les facteurs limitatifs à la mobilité de la propriété foncière ; l’exploitation pouvait se démembrer, puis se vendre à un tiers par la communauté qui en disposait en toute liberté.
Opération financière, l’affranchissement permit au seigneur de transformer des redevances fixes en cens, montant ainsi la valeur de la redevance antérieure à l’acte d’affranchissement ; la modification du statut juridique de la terre s’accompagne souvent d’une reprise de l’exploitation par les anciens tenanciers au titre de bordelage. Ainsi, loin de libérer la terre pour permettre une éventuelle mutation foncière, l’affranchissement prolonge l’association communautaire et par là même renforce la stabilité des structures du foncier : le bordelage qui interdit au tenancier un démembrement de l’exploitation, en est une marque évidente. Néanmoins, l’affranchissement est à l’origine de dissolutions de la communauté taisible.

Au XVIIe s., le mouvement de transformation des structures agraires, de la terre tenue par les communautés taisibles profite aux anciens possesseurs nobles qui réorganisent leurs exploitations en unité plus grande. Puis à la bourgeoisie entreprenante dont la notoriété s’affirma par la puissance terrienne, source d’influence, sinon de revenus.

Dès le XVIe s., en Berry, des chezeaux et des aireaux de communautés taisibles s’intègrent aux domaines seigneuriaux : les domaines des Brassins et des Gibauts, commune de Méry-ès-Bois, sont issus d’anciennes exploitations communautaires (A.D. 18-6 F 184).

Aux communautés familiales se substituent les bourgeois, rassembleurs de terres, propriétaires non résidants, détenteurs le plus souvent de plusieurs exploitations qu’exploitent des communautés de travail. La dissociation entre la possession de la terre et des moyens de production entraîna l’apparition de nouvelles formes d’exploitation par contrat. La famille patriarcale cesse de représenter une unité économique et sociale ; la communauté de travail prend le relais. Le nouveau couple château, possédé par le noble ou par le bourgeois, et métairie, fondé sur la puissance financière, est le symbole des nouveaux rapports de possession et de production dans le milieu rural.

3 Critique de la communauté taisible et nouvelles conditions juridiques.

La fixité relative des structures communautaires et les tensions internes qui ébranlèrent les groupes domestiques, firent apparaître dès 1650 le caractère anachronique de formes d’associations qui bloquaient les tentatives d’indépendance et de liberté de la personne.

Dès 1783, l’Assemblée de Berry demanda la dissolution des communautés taisibles :
- dissolution à l’amiable des communautés existant en Berry, en laissant subsister la communauté conjugale.
- interdiction à tout colon exploitant le fond d’autrui de contracter communauté de vie et de biens pendant son bail, à moins d’un accord avec le bailleur.
- le défaut le plus souvent reproché à la communauté taisible est d’encourager la paresse de certains membres qui pouvaient vivre au crochet des autres parsonniers.
- le blocage de développement économique de l’exploitation par le frein apporté aux initiatives individuelles et par la faiblesse du capital d’exploitation.
- les mariages consanguins pratiqués à l’intérieur du groupe pouvant être à l’origine de la fossilisation du groupe dans un isolat biologique qui le condamnait au déclin.

Mais surtout la légende qui entourait le mystère de la vie commune en déformant la réalité, origine de toutes les rumeurs.

En réalité, la résolution de l’Assemblée de Berry resta lettre morte.

Les critiques les plus sévères abordent la question de l’indivision des biens, de la taille des exploitations et du groupe domestique.
La taille plus élevée que la moyenne pratiquée dans la paroisse, oblige le tenancier à sous-louer une partie des terres du domaine ; décision contraire au partage des exploitations de grande superficie et à l’installation d’une classe de petits propriétaires.
L’entassement de 3 à 4 ménages par exploitation en Berry, permettant d’utiliser uniquement une main-d’œuvre familiale pour l’exécution des travaux agricoles ; pratique condamnable qui tient à l’écart la masse des manouvriers et domestiques, sans emploi dans un système de production agricole fondé sur l’utilisation d’une main-d’œuvre en circuit fermé.
Promulguée par le Code civil, la demande légale de partage du patrimoine commun que présentent des membres du groupe domestique, est considéré en général comme l’atteinte principale portée à la communauté taisible puisqu’elle rompt une pratique juridique ancienne fondée sur l’indivision des biens et sur leur transmission intégrale.

En l’absence d’une modification de techniques de production agricole, d’une politique d’investissement, d’une recherche de la rentabilité et du profit, la communauté taisible se condamnait elle-même à sa disparition.

Empreinte de la communauté taisible sur le paysage rural.

Tantôt l’espace agricole s’organise autour de hameaux disséminés dans les clairières à l’intérieur de massifs forestiers ou de hameaux alignés en bordure de ces massifs, tantôt des hameaux de quelques maisons qui s’égrènent dans un paysage d’eau et de bois, constituent le centre de la vie agricole locale. Mais, en dépit de leur différent aspect extérieur, tous s’inscrivent dans un bocage caractérisé par la forte dispersion de l’habitat, un fractionnement de l’occupation humaine, une marqueterie de parcelles entourées de haies, contrastant avec le paysage de champs ouverts.

La 1re manifestation de la communauté s’exprime par l’habitat car la communauté taisible correspond à la fois à un mode de peuplement et d’organisation de l’espace particulier.

Habitat patronymique.

L’indivision des biens, la communauté de vie et d’exploitation impliquent une communauté d’habitat en théorie sous un même toit : il en résulte un habitat permanent original caractérisé par un semis de constructions en petits noyaux dispersés, formés d’un faible nombre de bâtiments et par une disposition des différents bâtiments autour d’un espace commun central. En fait, cette structure qui paraît presque stéréotypée, révèle diversité et complexité.

1 Origine de l’habitat patronymique.

A l’origine, la famille s’installe sur une parcelle de base où elle aménage les bâtiments d’habitation et d’exploitation. Aspect théorique, en fait, car, à l’intérieur de l’habitat peuvent cohabiter plusieurs familles communautaires distinctes portant parfois des noms patronymiques différentes ; ou à côté des familles communautaires, la présence de familles nucléaires indépendantes de la communauté.
L’habitat patronymique peut donc s’appliquer :
- à l’unité élémentaire comprenant la maison d’habitation et les bâtiments d’exploitation.
- à plusieurs unités d’habitat communautaire ou d’habitat mixte.

Répartition spatiale de l’habitat.
L’apparition du groupe domestique coïncide avec le développement de l’habitat à l’intérieur de régions à peine effleurées jusqu’alors par la mise en valeur très extensive du territoire rural. La communauté taisible engendre la dispersion de l’habitat : hameau patronymique ou grange exploitée par la communauté de travail.
L’originalité de régions de communautés se traduit par un semis régulier d’habitats. L’étude de la distance séparant les écarts entre eux et du chef-lieu dont ils dépendent, oppose la régularité des 3 à 4 km des régions de communautés, à l’hétérogénéité des autres régions. Les habitats patronymiques s’ordonnent autour d’un modèle assez simple. En Boischaut Nord et Sud , à plus de 60 %, la création des écarts patronymiques se réalise à plus de 3 km du chef-lieu : 62, 7 % ; alors que les écarts non patronymiques se concentrent à plus e 60 % à moins de ces 3 km : 67, 5 %.

Les communautés taisibles mirent donc en place un semis d’habitat excentrique : ce qui confirme l’opposition entre le territoire le plus anciennement cultivé, soit un cercle de rayon inférieure à 3 km dont le centre est le bourg, et le territoire externe de remise en valeur plus récente.

2 Localisation de l’habitat patronymique.

La formation de l’habitat patronymique explique sa localisation hors des régions de mise en valeur ancienne, dans l’intervalle séparant la zone des champs cultivés permanents de la zone des massifs forestiers, ou bien à l’intérieur de la clairière défrichée aux XIe-XIIIe s., reprise par la forêt : un milieu peu habité, dominé par l’humidité des sols et par la densité du couvert forestier, ce qui implique pour le groupe domestique une maîtrise de l’eau, une lutte contre la forêt et les broussailles. La localisation de l’habitat sur les buttes, sur les versants, au contact des sols mieux égoutés, correspond aussi à la recherche d’une meilleure adaptation aux conditions naturelles, comme dans les Boischauts.

La dualité des paysages et du peuplement caractérise toute région de communauté taisible : elle s’exprime au travers de types d’habitat contrasté. 3 types de localisation se dégagent :
- l’habitat aménagé dans la plaine et dans les dépressions humides en régions de défrichements importants, comme dans le Boischaut ou Pays Fort, région où la forêt représentait 10 % environ lors de la confection du 1er cadastre, caractéristique d’une situation résiduelle.
- l’habitat de clairière ou de lisière de forêt en relation avec l’existence de masses forestières importantes maintenues dans le paysage jusqu’au XXe s. : 47 % en Boischaut Sud.
- le hameau de versant, étagé à diverses altitudes à la limite supérieure de l’espace cultivé.

Cette localisation des habitats contribue à renforcer les contraintes imposées par la dispersion du semis d’habitat en accentuant l’isolement des sociétés rurales des régions de communautés, dans un milieu naturel défavorable à la mise en place d’habitats permanents.

3 Caractéristiques et structure de l’habitat patronymique.

La communauté taisible s’installe sur sa concession de terres et doit y élever les bâtiments nécessaires à leur résidence puis à la pratique de ses activités agricoles. La mention fréquente de résidence en permanence sur le lieu la concession et non ailleurs, confirme cette obligation. De telles clauses sont toujours associées aux baux.

4 Nom patronymique de l’habitat.

L’habitat communautaire se caractérise en général par l’identité de nom entre la communauté et son lieu de résidence par l’intermédiaire des appellations : les X, Chez X, Huis X. Toujours postérieure à l’installation de la communauté taisible, l’apparition du nom du hameau dépend de l’importance économique du groupe, de son rayonnement et de sa taille, et, sans aucun doute, du rapport de force entre le groupe familial et les autres familles composant le hameau dans le cas de pluralité des familles. L’installation de la communauté modifie les toponymes antérieurs, selon la formule : les X, anciennement les Y ; il suffit de les relever pour mesurer l’importance de l’emprise communautaire sur le paysage rural au travers de l’habitat patronymique : la pérennité du nom s’assure ainsi au-delà de la dissolution de la communauté elle-même.

5 Structure de l’habitat patronymique.

Il se construit en fonction des besoins du groupe domestique et se caractérise par une structure en petits noyaux d’habitat et par la multiplication des lieux habités dans l’espace rural. Ainsi l’habitat communautaire pulvérise les formes d’occupation du sol sous l’aspect de bâtiments isolés ou de petits groupes de bâtiments en ordre lâche dans lesquels le noyau élémentaire d’habitat prend sa signification : le groupe ne réside pas dans une maison mais occupe au contraire plusieurs bâtiments séparés ou non autour de la cour commune.
Plus répandue que la maison unique, cette disposition de l’habitat s’explique par la croissance du groupe domestique, trop à l’étroit dans une maison pour y faire sa résidence habituelle. Ainsi se modèlent les nuances de l’habitat de la maison d’habitation, la grande maison commune, jusqu’aux formes plus élaborées de complémentarité des bâtiments, la maison commune servant alors de lieu de réunion des membres de la communauté à certains moments de la journée et de l’année, les bâtiments annexes servant de chambres pour une partie des membres.

Habitat taisible.

1 Origine de l’habitat taisible.

3 parties existent dans tous les cas :
- la cour commune avec mare, pescherie, fontaine ou crot, qui représente le support de l’habitat lorsque plusieurs familles y résident, l’accord déterminant l’utilisation de cet espace commun.
- le groupe de bâtiments qui comprend la maison commune où les membres de la communauté prennent leurs repas et possèdent leurs chambres ; et les différents bâtiments d’exploitation soit à la périphérie de la cour, soit en ordre dispersé sur la parcelle commune.
- les pièces de terre de culture intensive, ouches, chenevières, jardins et vergers, à proximité des bâtiments.
2 éléments influencent cet habitat : la parcelle centrale, coeur de l’habitat, et la maison commune, foyer de la communauté taisible.
La parcelle centrale porte les bâtiments et varie de 1 à 10 ha selon la nature de la concession. Lorsque la terre est concédée d’un seul tenant, l’acte indique sa seule superficie qui peut varier de 40 à 60 ha.
Lorsque la réunion de plusieurs communautés taisibles donne naissance à l’habitat, les parcelles qui portent les bâtiments des groupes domestiques sont ou jointives ou situées à peu de distance les unes des autres.
La maison commune ou chauffoir est un bâtiment rectangulaire qui peut avoir plus de 20 m de long sur 10 m de large ; elle constitue le centre vital de la communauté, lieu de réunion des membres du groupe et ciment de la communauté ; elle rassemble sous un même toit la grande salle où les personnes prennent le repas commun, ainsi que les chambres des familles de la communauté taisible ; parfois lui sont adjointes des pièces annexes à ses extrémités. Jusqu’au XVIIIe s., les chambres donnent directement sur l’extérieur car le bâtiment a une profondeur ; à partir de 1730, elles peuvent donner dans le corridor tracé dans toute la longueur du bâtiment. Le confort y est souvent sommaire et la pauvreté du mobilier relative.
Si l’habitat correspond à une création ex-nihilo, il présente des formes simples ; s’il résulte de la greffe du groupe domestique sur l’habitat antérieur, il correspond au remaniement des bâtiments existants ou à un développement par noyaux.

Le 1er type d’habitat est à cour ouverte. Les origines de la concession des terres expliquent son mécanisme de formation. Il s’agit souvent de terres d’un seul tenant, en désert, sans bâtiments ou sur lesquelles d’anciens bâtiments en ruine ne servant pas d’appui au développement du nouvel habitat. Il put y avoir remodelage d’un ancien habitat existant au moment de l’installation du groupe domestique, utilisé comme base de développement des nouveaux bâtiments.
A la Chipaudière, commune d’Aize, en Boischaut Nord, la communauté familiale des Chippault possédait une exploitation de 15 ha ; composée des 4 familles des frères Chippault, elle regroupe 33 personnes dont 24 enfants. Elle ne pouvait regrouper tous ses membres dans un bâtiment et partie d’entre eux loge dans les anciens bâtiments du chezal, tandis que la famille de Jehanin Chippault s’installe dans la maison nouvellement bâtie sur une terre de 10 a où se trouvait déjà une place de maison ; quant à Jehan Chippault, il fit construire maison et grange, bâtiment où ce dernier demeure à présent (A.D. 36-H 784).
Lorsque la communauté devient puissante, l’évolution du hameau tend vers la simplification du semis d’habitat, facilitée par l’abandon de groupes de maisons souvent transformés en terre labourable.
Le passage à l’exploitation communautaire se traduit donc le plus souvent par un regroupement des bâtiments d’exploitation.

Le 2e type d’habitat correspond à la formation d’un hameau à partir d’un noyau central auquel vient se juxtaposer des noyaux ultérieurs de bâtiments qui correspondent aux aménagements ultérieurs.

2 Originalité des sociétés rurales.

Rôle des conditions géographiques. Il se divise en 2 :
- un découpage de l’espace en paroisses de grande superficie.
- une difficulté de relations à l’intérieur de cet espace.
Ces 2 faits amplifient les notions d’éloignement et d’isolement que la dispersion de l’habitat patronymique avait entraînée.

Paroisse de grande superficie.
Tout concourt à rappeler dans ces régions l’opposition entre les bons pays d’habitat groupé, aux paroisses de petite surface, et les mauvaises terres où l’habitat dispersé se calque sur des paroisses de grande taille.
Dans le Boischaut Nord et Sud, 34, % des communes ont une taille supérieure à 40 km2. Au-dessus de 50 km2, les pourcentages y conservent des valeurs fortes : 14, 9 %.

Le hameau familial est assez isolé par rapport aux habitats ruraux plus anciens et aux axes principaux de relation. La carte routière de France, 1822, de V. Noël, confirme le contournement des régions de communautés par le flux de circulations ainsi que l’insuffisance de la desserte régionale par les routes de poste et grandes routes sans relais de poste, dans les Boischaut Nord et Sud. L’isolement de ces régions s’accentue par l’éloignement des centres urbains.
Ainsi ces conditions naturelles contribuent à prolonger la durée de ces communautés taisibles.

3 La communauté taisible, facteur de stabilité démographique.

Mariage entre parsonniers. Aux XVIIe et XVIIIe s., les mariages entre membres de communautés taisibles voisines sont fréquents : les échanges de fils et de filles renforcent chaque communauté en lui intégrant un couple de membres rompus à la vie communautaire.
Par endogamie territoriale, la communauté maintient son intégrité, les liens de parenté enracinant le groupe dans son espace géographique ; mais sa survie en milieu fermé suppose le maintien d’un effectif minimum, seuil au-dessous duquel le groupe humain isolé s’étiole, puis disparaît.

Comme la superficie exploitée dépend de la capacité de mise en valeur agricole déterminée par le niveau technique de la communauté, la communauté taisible relativement isolée, disposant d’une superficie de terres convenables, se transforme en communauté de taille importante, obligée, par suite de la pression démographique, de modifier ses techniques agricoles. Il en résulte un équilibre entre le potentiel de la communauté taisible et les possibilités matérielles de son développement, la permanence de la famille s’assurant à la condition du maintien d’un seuil de population à l’intérieur du groupe domestique.

Les communautés taisibles ont la préoccupation constante d’une stabilité et d’une pérennité de la famille, s’opposant au principe de mobilité, caractéristique de la famille conjugale. Cet équilibre s’explique par l’homogénéité du groupe fixé au sol sans fonctions différenciées, donc sans éprouver le besoin du déplacement de ses membres hors du groupe familial. D’où 2 phases de développement.

Phase 1.
La communauté de sang pratique le système de production en économie de subsistance et peut en théorie absorber l’excédent de main-d’œuvre ; son développement ignore presque totalement la rentabilité de l’exploitation, le système de production pratiqué consommant beaucoup de main-d’œuvre. D’où un certain parallélisme entre la croissance du groupe et l’acquisition de nouvelles terres.

Phase 2.
Le blocage du développement spatial du groupe domestique qui résulte de l’impossibilité de cultiver de nouvelles terres ou de l’obligation de se contenter d’une certaine taille de l’exploitation agricole, contraint la communauté à rechercher un équilibre idéal pour la taille du groupe en le renforçant en cas de départ ou en le réduisant par l’essaimage de partie de ses membres. La croissance démographique de la communauté taisible pouvait donc entraîner la formation d’un excédent de population d’autant plus critique que le mariage des fils et des filles de la communauté s’accompagnait le plus souvent de l’entrée du couple dans l’association.

Jusqu’à l’application du Code civil, ce problème délicat semble résolu par un règlement à l’amiable : certains membres quittent la communauté et en forment ou non une nouvelle, ou bien le départ du conjoint dans la communauté de l’autre. Les contrats de mariage révèlent une grande stabilité dans le nombre des familles : 6 ou 7, et de leurs membres : 25 à 30.

La communauté taisible tisse dans le milieu rural une trame de groupes domestiques de taille importante et stable, source de plus forte densité de population. Puis entre les habitats patronymiques s’établit un réseau de relations d’échanges ou d’essaimage de membres des différentes communautés, qui caractérise une plus grande emprise des communautés sur leur région et la permanence d’un équilibre par régulation démographique. Cet essaimage révèle une dispersion des noms patronymiques dans une zone restreinte : le départ des membres s’effectue souvent à faible distance de leur communauté originelle.

4 La communauté taisible, facteur de conservation foncière.

Faite pour durer, la communauté puise dans la transmission des biens indivis sa stabilité ; elle représente donc un puissant facteur de conservation des sociétés rurales et des structures agraires. La condition juridique des terres : bordelage impliquant l’impossibilité de partir ou de diviser la chose bordelière, ou mainmorte exigeant la vie au même feu et lieu pour la transmission des biens, renforce la cohésion de l’exploitation. Cette dernière reste stable, les remaniements du parcellaire mineurs ; les rares opérations foncières importantes correspondent en général à la vente réalisée lors de la dissolution de petites communautés.
Pour les grandes communautés, l’importance de leurs possessions les conduit à tirer profit de cette situation en concédant à bail partie de leurs domaines.
Parcellaire des régions de communautés taisibles.

5 Structure des exploitations communautaires.

L’originalité des paysages découle de l’étroite correspondance entre l’unité d’habitat patronymique et l’unité agraire qui en dépend : il organise en principe le regroupement des parcelles autour des bâtiments d’exploitation ; certes, elle se réalise dans les cas d’une concession bloc d’un seul tenant, mais elle représente le but de l’activité du groupe.
Les types d'hjabitats communautaires s’expliquent par le rôle joué dans les défrichements des paysages ruraux.

Défrichement forestier. Partie périphérique des grands massifs.
Dans ce paysage s’opposent la zone des taillis ou zone externe de la forêt et la zone des futaies, plus centrale. Situés à la périphérie de l’espace agricole des communauté, les taillis correspondent aux zones de bordures forestières et de clairières où les communautés reçurent leur concession. Ces zones permettent le défrichement de la forêt, l’exercice des droits d’usage parfois indivis entre plusieurs communautés, par l’intermédiaire desquels la communauté taisible retire le produit des arbres et des fruits, chênes et hêtres, nécessaires pour alimenter le bétail, mais aussi le bois de chauffage et les morts bois ou arbres sans fruit. Par opposition, la futraie constitue la zone soumise à un régime de coupes réglées, exploitées sur autorisation de la juridiction des Eaux et Forêts, interdite à la communauté taisible. Ainsi le plan d’aménagement de la forêt de Haute-Brune, dans le Pays fort, Cne de Saint-Martin-d’Auxigny, permet de reconstituer les étapes du défrichement par les communautés taisibles. A l’Ouest de Saint-Martin-d’Auxigny, dans le pays de la Forêt à forte densité d’habitats patronymiques, le paysage provient du défrichement. Toute la grange forestière fut essartée sur 0, 8 à 1 km ; à partir des habitats patronymiques qui jalonnent le front de défrichement, tels les Millets, les Perrinets, les Rousseaux, les Bertins, s’aménagèrent aux dépends de la forêt, des champs irréguliers, délimités par des haies et desservis par un réseau de chemins les reliant aux habitats communautaires (A.N.-N IV, Cher, Plan d’aménagement de la maîtrise de Vierzon et gruerie d’Allogny, 1782-1785, fol. 28).
L’originalité du paysage tient à la mise en valeur complète de l’espace rural compris entre l’habitat patronymique et la limite extérieure de la forêt : l’espace s’aménage en terres et prés.

Enfin, en bordure des massifs forestiers, les cantons de forêt, brosses ou buissons, désignent de petites parcelles de forêt détachées des massifs principaux, isolées, tenant à un bois ou à des terres vagues. Parfois englobés dans le périmètre des communautés taisibles, ils représentent des secteurs communs à plusieurs d’entre elles, jouant le rôle de séparation entre leurs exploitation communautaire.
2 parties composent l’exploitation communautaire :
- une petite de culture intensive près les bâtiments : l’ouche procurant les légumes, la chènevière le chanvre, le verger les fruits.
- une grande de culture extensive qui comprend les champs cultivés, les prés et les terres à vocation mixte, située à l’entour.

Lorsque 2 habitats de communautés se touchent, la séparation se fait par les prés et par les bois. Le bocage domine et souligne l’isolement et l’individualisme des anciens habitats patronymiques. Or, dans le Boischaut Nord et Sud, les documents semblent indiquer un paysage agraire antérieur différent : champs ouverts aux parcelles enchevêtrées, entrecoupées de bocage imparfait, sorte de semi-bocage. Ainsi, lors des concessions blocs juxtaposant les finages de communautés, la séparation des exploitations se réalise par des éléments de forêts et de haies délimitant l’espace agricole de chaque communauté.

Séparation entre le champ cultivé et la forêt, la haie est un des éléments constitutifs du paysage agraire des régions de communautés, sans en être l’élément déterminant. Grâce à ses différentes essences, la haie fournit les bois d’utilisation courante : chauffage et fruits, puisqu’elle est complantée de fruitiers ; elle apporte donc un complément de bois nécessaire à la vie de la communauté, avec les concessions d’usage accordées par le seigneur de fief.

Excepté les petites communautés, la superficie moyenne des communautés varie entre 50 et 110 ha. La même impression de grande taille se dégage des exploitations tenues par les communautés de travail dans les régions où prédomine la structure domaniale. D’où la progression de la taille moyenne des exploitations communautaires : de 40 ha au XVIe s. à 60 ha au XVIIe s., tandis que les exploitations non communautaires passent de 13 à 21 ha. Cet accroissement est plus fort dans les régions où le développement des communautés est plus intensif. Puis une accentuation de la concentration qui se caractérise par l’extension des exploitations entre 70 et 100 ha, et celles supérieures à 100 ha. D’où la taille importante des parcelles qui conservent leur structure d’origine.

Les habitats.

Les types d'habitat s’analysent du plus groupé au plus dispersé.

1 Habitat-bloc.

Les parcelles agglomérées font corps autour des bâtiments d’exploitation. Modèle de l’organisation parcellaire, l'habitat-bloc correspond à l’idéal communautaire. Il s’explique par la concession initiale importante, d’un seul tenant, d’une partie du territoire rural à défricher. La mise en valeur porte sur l’ensemble de terres vagues et en friche originales dans le paysage agraire par leur allure massive, par leur organisation en parcelles d’allure géométrique et par la régularité de l’espacement des exploitations.
Aux Michaux, Cne d’Ivoy-le-Pré, la concession à la communauté de Jean Michau du chezal nommé d’ancienneté le chezal des Michaux, le tout joignant ensemble, a 41 ha. Aux Charbonneaux, Cne d’Ennordes, Cher, Henri Charbonneaux et sa communauté reconnaît au lieu des Charbonneaux, le 13 août 1518, un chezal d’un seul tenant, d’ancienneté aud. lieu (A.D. 18-6 F 184, terrier de Thou). Ce type de concession a pour but de défricher ou de restaurer des territoires agricoles que l’abandon avait fait retourner en bruyères et en buissons. La mention d’un seul tenant caractérise donc un type d’exploitation bloc en relation avec le type particulier de la concession.
L’exploitation bloc peut aussi résulter d’un regroupement foncier de plusieurs mex et tènements contigus ou à fondre dans des parcelles voisines de l’exploitation.
Distribués en un semis régulier, ces exploitations laissent une impression de monotonie dans le paysage rural, renforcé par leurs grandes parcelles.

2 Habitat semi-groupé.

Ce type repose sur 2 éléments :
- le noyau primitif de formation ancienne dont les parcelles se groupent autour des bâtiments, correspond à la possession initiale de la communauté.
- un ensemble de parcelles dispersées dans la paroisse, résultat des acquisitions ultérieures faites par la communauté.
Il s’identifie à l’évolution et à la croissance de la communauté familiale et résume les étapes de sa vie.

L’exploitation se met en place par étapes soit par des acquisitions successives réalisées par la communauté, soit par une politique de regroupement des terres : la communauté organise progressivement son espace agricole autour du noyau d’habitat. La concentration des terres peut se faire par l’absorption des exploitations d’autres groupes domestiques. La formation de ce type d’exploitation illustre la transformation des structures agraires réalisée au profit d’une communauté taisible.

L’origine du parcellaire offre 2 secteurs :
- parcelles groupées autour de l’habitat, 50 % de l’exploitation.
- parcelles complémentaire, pus dispersées.

3 Habitat-puzzle.

Ce type se caractérise par le morcellement extrême du paysage agraire en petites parcelles dispersées de 20 à 50 a, appartenant à des exploitations de 20 à 40 ha. La dominante du paysage réside dans la pulvérisation du parcellaire ; la superficie regroupée autour des bâtiments d’exploitation représente moins de 10 %. 3 raisons expliquent leur formation.

Origine.
Constituée à partir d’une série de reconnaissance de terres passées avec différents seigneurs, l’exploitation subit les effets de cette diversité dans un territoire où les acquisitions concernent des terres éloignées les unes des autres. Le parcellaire reste marqué par cette hétérogénéité de départ.

Volonté de diversifier la nature des terres de l’exploitation.
Chaque exploitation de ce type a des terres de vocation naturelle diverse : céréales, prairie, vigne, localisées par grandes masses en certaines parties du territoire, chaque tenancier tenant à équilibrer son exploitation par la polyculture et l’assolement. Participant aux droits et aux devoirs de la communauté villageoise par la reconnaissance des droits d’usages, la communauté taisible ne pouvait se soustraire à ces obligations communautaires. D’où la nécessité pour l’exploitation de posséder des parcelles dans chaque sole du finage, en raison de l’uniformisation des systèmes de production dans chaque sole.
Le parcellaire des petites communautés de laboureurs dans les Boischaut Nord et Sud, ou de vignerons du Sancerrois, correspond au 1er type. De taille modeste, ces communautés n’exercèrent pas une grande influence sur le paysage agraire ; leur hameau de résidence se composait souvent de plusieurs communautés dont aucune ne laissa son nom à l’habitat. De disparition précoce, elles durent durer le temps d’une association.
Exploitation soumise au système de contraintes collectives.
Le groupe économique peut se considérer comme un seuil économique définissant un équilibre précaire, sans cesse remis en cause, entre le nombre de ses membres et la taille de l’exploitation dans laquelle il s’installe. L’appropriation de l’espace par le groupe familial contribue à donner au paysage une unité à l’intérieur d’ensembles divers, véritables périmètre de groupes. Ainsi, l’influence et la trace de la communauté taisible subsiste à sa dissolution.

Transformation du paysage rural après la rupture des communautés taisibles.

Tantôt la rupture consolide et fige la grande exploitation par la création d’un domaine, tantôt le démembrement aboutit à la mise en place de la petite exploitation familiale. A une certaine uniformité des structures agraires que la communauté taisible imposa au paysage rural dans les milieux naturels les plus divers, succède une diversité des formes dont le paysage actuel porte la marque.

1 Consolidation de la grande exploitation. Passage aux domaines.

L’extension historique des domaines coïncide avec le déclin des communautés taisibles aux XVIIe et XVIIIe s., auxquels ils empruntèrent les terres et le nom. Mais à partir de 1750, s’affirma la puissance du domaine en relation avec la multiplication des communautés de travail. Les nouvelles formes d’exploitation en faire-valoir direct prennent le pas sur les pratiques de l’exploitation directe des associations communautaires dès 1650 ; les baux à métairie conclus entre le propriétaire du domaine et les communautés de travail régénèrent par leur organisation, la communauté familiale. Le XIXe s. confirma cette tendance en l’accentuant en Champagne berrichonne où le domaine marque le paysage rural de son empreinte.

2 Concentration de la propriété.

Le domaine se définit par sa taille, le système de production et les moyens mis en œuvre pour son fonctionnement. Unité de production de 50 à 120 ha, appartenant à un propriétaire noble ou bourgeois, elle s’exploite par des familles de métayers ou de colons paritaires organisées en communauté de travail.
En Boischaut Nord et Sud, et en Pays Fort se maintiennent de petites exploitation individuelles ; le domaine s’implanta surtout en Champagne berrichonne. Le déclin des communautés taisibles put profiter à la grande propriété nobiliaire et bourgeoise. Les circonstances permirent à celle-ci de s’approprier les éléments de sa puissance foncière, la concentration de la terre entre les mains d’une minorité d’investisseurs réduisant la quantité de terres susceptibles d’entrer dans le marché foncier alors que la fluctuation démographique du milieu rural pose le problème de la disponibilité de la terre.
Comme 20 % de la terre est possédé par 80 % de petits agriculteurs, et 80 % par 20 % de gros investisseurs, la rareté de la terre libre à l’achat, les faibles disponibilités financières des petits exploitants, la conservation de la grande exploitation réduisent à néant l’expansion des petits tenanciers. Ces derniers ont des exploitations de 5 à 10 ha en moyenne, parfois moins. Le fait est ancien. En Pays Fort, la petite propriété occupe 25 à 35 % du sol par suite des conditions naturelles particulières qui freinèrent le développement des structures domaniales ou de conditions générales qui entraînèrent le morcellement de l’exploitation communautaire.
Par son extension et son organisation économique, le domaine modela de nouveaux paysages ruraux en remaniant à son profit l’ancienne organisation agraire. Ses plans montrent la régularité de l’organisation de l’espace rural fondée sur la simplification des lignes du paysage opposées aux structures plus heurtées des finages de hameaux familiaux.

3 Parcellaire.

Le domaine se caractérise par le petit nombre de grandes parcelles qui, enfermées par le réseau de haies, appartiennent à de grands quartiers de terre formant l’exploitation également entourée par une bordure régulière de haies, manifestation de l’assolement biennal. Le domaine s’isole ainsi des exploitations environnantes et la trame du parcellaire tient du bocage à larges mailles.
Le parcellaire se caractérise par la fixité relative des structures : le noyau originel et les parcelles de l’exploitation conservent le plus souvent les formes initiales mises en place lors de la constitution de l’exploitation.
Tantôt le domaine résulte de la transmission intégrale d’une exploitation communautaire ; tantôt, issu du regroupement de terres diverses, il procède d’un remembrement qui augmente la taille moyenne de ses parcelles. En Berry, le chezal correspond dans répartition et dans son caractère distinctifs au type de la grande exploitation. Le chezeau des Michaux, Cne d’Ivoy-le-Pré, a 42 ha ; les métairies des Brassins et des Janins, Cne de Méry-ès-Bois, ont respectivement 46 et 42 ha. Aux Michaux, l’exploitation regroupe 10 parcelles : 5 en prés de taille moyenne de 0, 5 ha regroupent 6 % de la superficie totale, tandis que les 5 parcelles de terre, de 1, 5 ha, 3, 3, 2, 8 et 24 ha, forment 94 % de la superficie de l’exploitation (A.D. 18-G 284, 13 octobre 1515, Terrier de Thou, fol. 369-465).
L’uniformité du parcellaire oppose les structures domaniales à celles du finage des hameaux familiaux.

4 Transformation de l’habitat.

La création des grandes unités d’exploitation implique une adaptation du bâti aux nouvelles conditions de l’économie agricole. Si la disposition des bâtiments au centre des terres qui délimitent une cour ouverte ou fermée, conserve la disposition antérieure de l’habitat communautaire, les remaniements nombreux existent : disparition de bâtiments pour regrouper les terres de 2 métairies, déplacement des bâtiments. Le remaniement est dans la logique de l’évolution de l’habitat. En ruine ou détruit, ces bâtiments représentent l’ancien habitat communautaire auquel succèdent ceux de la nouvelle métairie. Les exemples différents des domaines montrent une disposition presque identique des bâtiments autour de la cour centrale, bâtiments situés en général au centre de l’exploitation et entourés de parcelles de culture intensive. De cet espace central partent les chemins bordés de haies qui desservent le finage du domaine.
Cet habitat paraît donc concentré, simplifié et uniforme dans son aspect extérieur, malgré ses origines différentes.

5 Immobilisme foncier.

Par son organisation interne et par les liens de dépendance qu’il impose à l’exploitant, le domaine symbolise la puissance et la domination de la classe sociale des propriétaires ; cette emprise coïncide avec l’apparition, puis l’extension de formes d’exploitation fondés sur le contrat à temps dont le métayage constitua le type le plus répandu jusqu’en 1920.

6 Métayage.

Son apparition ne peut se dater avec précision, mais des actes notariés le font connaître dès 1475 : lorsque le chef de communauté et ses parsonniers ne peuvent assurer à eux seuls l’exploitation de leur terre, ils en concèdent par bail annuel au 5e puis au quart de la récolte, les terres en excédant, trop éloignées du centre de l’exploitation. Début XVIe s., apparaît un mode d’exploitation qui repose sur le partage convenu des récoltes entre preneur et bailleur dont l’aboutissement logique fut le partage à mi-fruit, base du métayage. Concédé à une communauté de travail, ce contrat est souvent complété par le bail à vaches ou à cheptel, associant à la mise en valeur du domaine l’obligation d’entretenir le troupeau.
L’étude détaillée des clauses des baux semble confirmer la volonté des propriétaires de maintenir une culture de type extensif, assolement biennal, d’aspect routinier, qu’évoque le rappel systématique des mêmes clauses à chaque reconduction de bail. Source de progrès, l’assolement triennal s’imposa définitivement après 1830 en Champagne berrichonne, et peu après dans le reste des pays de petite culture de la Région Centre. D’où une certaine stagnation économique.

7 Fermage.

Dans le bail à fermage s’introduit l’idée de séparation du capital foncier et d’exploitation confondus dans celui à métayage : le propriétaire laisse au fermier toute la responsabilité de l’exploitation. De l’association de personnes, caractéristique du métayage, ce type de contrat fait passer à celle de capitaux. Mais la faiblesse des capitaux dont dispose la communauté de travail la maintient souvent dans le métayage, forme d’exploitation apparemment mieux adaptée à ses possibilités financières. Le Boischaut Sud conserva longtemps de solides structures d’exploitation fondées sur le métayage, et dans une moindre proportion le Pays Fort.
La carte de répartition des valeurs élevées des pourcentages du métayage coïncide encore début XIXe s. avec celle de répartition des fortes densités d’écarts patronymiques.

Démembrement des structures foncières. Formation de la petite exploitation et développement du hameau familial.

Mécanisme et type de partages de la communauté taisible.

Les actes de dissolution de communauté témoignent d’une similitude dans le processus de partage fondée sur l’égalité et le partage équitable entre les membres du groupe domestique. Dans la réalité, le partage se révèle délicat : d’une part en raison des rapports personnels de certains membres, puis de leurs acquisitions particulières sur leurs deniers pendant le temps de la communauté, d’autre part en raison des difficultés à définir les droits précis de tous les ayants droit au partage.
Si le partage direct entre les membres de la communauté est la solution adoptée lorsque la masse des biens à répartir est incontestable entre les membres de la communauté, il en va autrement lorsque les conditions se révèlent plus complexes par suite de la durée de l’association, de sa taille, du volume des biens à répartir entre ses membres. Le chef de la communauté fait alors appel à des experts afin que chaque parsonnier ne puisse être inquiété après le partage afin de vivre en paix et en bonne entente.
Tantôt partage à l’amiable répartissant terres et bâtiments selon la situation et les intérêts particuliers des familles composant la communauté taisible ; tantôt partage fondé sur les droits de certains parsonniers ou sur une volonté de partage égalitaire qui aboutit au fractionnement systématique de la totalité des biens appartenant au groupe. Dans ce cas, la répartition ignore la structure de l’exploitation et les conséquences ultérieures de ce mode de partage.
Le partage partiel souligne la tension entre le désir d’indépendance de vie et un certain souci de rentabilité, car le morcellement total offrirait une nouvelle exploitation trop faible.
Retenu le plus souvent par les grandes communautés taisibles, le partage intégral peut être égalitaire ou non.
Égalitaire. La division du bien communautaire en lots de valeur égale, selon le nombre de familles conjugales composant le groupe domestique, se révèle le plus équitable en droit, puisque chacun bénéficie d’une part identique du patrimoine, conformément à la répartition entre les membres du groupe des profits et des pertes.
Inégalitaire. Comme chaque constitution de communauté, chaque entrée de membres s’accompagnait souvent d’une reconnaissance des apports personnels, puis d’une restriction concernant l’intégration de ces apports à la masse commune, apparut la notion de têtes partageantes inégales selon la composition des familles constituant le groupe : la confirmation par acte notarié des apports et des possessions individuels étaient autant de garanties souscrites au moment de la formation ou de l’entrée en communauté, en prévision d’une dissolution ultérieure. D’où leur prise en considération lors de la rupture.

Ces 2 types de partage soulignent le désir unanime de rompre la communauté de vie : le passage à la famille conjugale, le partage des bâtiments communs, l’installation des familles dans des bâtiments séparés en apportent la preuve. Puis la rigueur de la division des biens communs ; réalisée pour que chaque copartageant profite en pleine propriété de sa part, l’accession à la propriété individuelle se double d’un morcellement qui amenuise les parts attribuées à chaque famille. Aussi, un certain remembrement s’avère-t-il nécessaire pour permettre à chacun de mettre en valeur son lot ; en l’absence d’entente ou d’arrangement entre les nouveaux propriétaires, leur exploitation soulève rapidement des difficultés.

Après l’âpreté et l’acharnement mis à diviser le patrimoine commune, les actes notariés révèlent un souci fréquent d’atténuation des clauses impératives du partage, pour faciliter l’utilisation par chaque copartageant de son lot. Au delà de la rupture du groupe se prolongent les aspects bénéfiques de l’ancienne association par une volonté d’entraide et de bonne entente de ses membres. Ces atténuations témoignent d’un souci d’adoucir les effets contraignants de la rupture de la communauté taisible en facilitant la vie quotidienne des familles conjugales au hameau. Les conditions d’isolement relatif et de cohabitation dans un territoire agricole qui impose ses servitudes, justifient les différents arrangements.

III Nouvelles structures agraires.

La disparition de la communauté taisible oblige ses membres à réintégrer les structures agraires qui lui étaient antérieures.

Exploitations et structures agraires.

1 La nouvelle exploitation.

Le paysage rural se transforma par le développement de la classe des petits propriétaires fonciers dont les exploitations se constituèrent lors de la division du bien communautaire.
L’étude des contrats de dissolution montre que la volonté des copartageants est plus de borner que de séparer, car les structures post-communautaires associent aux formes récentes de la propriété les marques d’un héritage ancien dans lequel la haie isolait une partie du finage du reste du territoire agricole. La structure de bocage servit souvent de support aux partages ultérieurs et s’accentua en fonction de l’intensité de la division du bien communautaire.

2 Extension de l’ancien habitat patronymique.

Les transformations de l’habitat patronymique se traduisent par des adaptations locales imposées par la structure initiale, le volume et l’état des bâtiments, et les conditions particulières du partage ; ce manque d’unité masque parfois le visage de l’habitat patronymique originel. Toute vie commune éteinte, il subsiste de la communauté disparue ce qui peut rester de commun entre les nouvelles familles : la place commune, la fontaine, la mare.
La répartition des bâtiments entre les copartageants amène des unités d’habitat indépendantes. La dissolution entraîne donc une nouvelle répartition des bâtiments existants, sans agrandissement immédiat du hameau. Seule la croissance démographique du hameau le fit évoluer vers l’état qu’enregistra le 1er cadastre.
Le hameau s’étend. Au 1er noyau aménagé autour de l’espace central s’adjoint d’autres habitats lorsque les membres du groupe s’installent à faible distance de la maison commune originelle.
Le hameau est issu d’une division de bâtiments sans que le partage s’accompagne de son accroissement spatial. Chaque famille s’installe dans la portion qui lui est attribuée, élève les séparations nécessaires pour individualiser ses biens hors de toute contestation, préserve son isolement, transforme ultérieurement le bâti. Il s’agit plus d’une dissociation que d’une extension de l’ancien habitat, l’économie du terroir environnant interdisant toute explosion démographie.

3 Instabilité des structures agraires.

Après le partage, le morcellement des biens attribués aux copartageants s’accentue très souvent et des membres issus de l’ancien groupe domestique abandonnent souvent l’exploitation qui leur fut attribuée. Ces partages affectent non seulement les structures agraires, mais encore les structures sociales, maintenant l’instabilité des sociétés rurales pour leur permettre de s’adapter au changement de leur environnement.
Puis vient le regroupement foncier, peut-être dû à l’insuffisance des surfaces arables attribuées, à la faiblesse du capital disponible ou à la médiocre rentabilité de cette nouvelle exploitation, voire les 3. Cependant, le cas le plus fréquent correspond à une multiplication des partages et des regroupements ultérieurs, ayant pour résultat un émiettement et un regroupement continuels des terres.
Au total une certaine fragilité des structures foncières en relation avec le développement des familles conjugales issues de la rupture de l’ancien groupe domestique, mais aussi un parcellaire morcelé, source d’instabilité et d’affaiblissement des hameaux familiaux.

Ébranlement des sociétés rurales.

Accusée de conservatisme par les physiocrates du XVIIIe s., la communauté taisible peut aussi faciliter l’ascension sociale du groupe ; en fondant sa puissance et son économie sur la possession de la terre, elle conféra à l’association une surface sociale comparable à celle des propriétaires nobles et bourgeois. La rupture de l’association provoqua l’apparition de nouvelles structures démographiques et foncières puisque le passage de la communauté taisible à la famille conjugale libéra les hommes et la terre de l’emprise communautaire. Cette rupture ouvrit ainsi une nouvelle phase de l’évolution des sociétés rurales.

1 Nouvelles structures démographiques.

La rupture de la communauté entraîna une brusque augmentation du nombre de famille composant le hameau. Dans la mesure où la rupture maintenait sur place les anciens membres de la communauté, le hameau accroissait en théorie son importance démographique.

2 Passage à la vie conjugale.

A la famille taisible de 20 à 30 personnes se substituent des familles conjugales de 3 à 7 personnes. L’explosion démographique gagne les cellules rurales du Pays Fort. En 1851, aux Michault, Cne d’Ivoy-le-Pré, 10 familles regroupent 46 personnes, composant le hameau. Les hameaux de Thaumiers, à la limite de la Champagne berrichonne, eurent un développement semblable : Les Arnaults réunissent 28 personnes avec 6 familles, Les Gonins 46 personnes avec 11 familles.
Ces mutations engendrent la formation de hameaux de grosse taille et la fixation de densité élevée de population agricole. La disparition de la famille taisible mit fin à l’équilibre, source de stabilité et de régulation démographique, entre la superficie mise en culture par la communauté et la taille du groupe domestique. Les recensements du XIXe s. confirment l’explosion démographique des hameaux familiaux jusqu’en 1886.

Transformations sociales.

Classe fragile et vulnérable de petits propriétaires fonciers, les membres de l’ancienne communauté taisible s’adaptent difficilement aux nouvelles conditions de la vie rurale.

1 Différenciation sociale.

Si certains copartageants remembrent, d’autres partent. La fréquence de ces situations traduit une pauvreté économique ; d’où le développement de la classe des journaliers et des manouvriers.

Lors du recensement de 1851, à Argent-sur-Sauldre, 2 familles du hameau des Moreaux sont des familles de journaliers, aux David 1 des 2, aux Vaslots 1 des 3. Dans la commune de Thaumiers : 7 sur 12 aux Arnaults, 7 sur 17 aux Gonins. Dans les hameaux, le nombre des journaliers semble être proportionnel aux petits propriétaires sans fonds solide, issus du partage de communauté taisible.

Ne disposant ni de terre ni de la stabilité de l’emploi, ces journaliers sont vulnérables, à l’image des anciens parsonniers qui durent céder leur exploitation agricole déficitaire.

La conjonction de facteurs démographiques, économiques et sociaux annonçait les difficultés futures de la petite exploitation familiale et l’inévitable déclin des hameaux familiaux.

2 Déclin des hameaux familiaux.

Des apparences trompeuses laisseraient l’impression du développement de ces hameaux après la dissolution des communautés taisibles :
- croissance démographique.
- forte densité de population rurale.
- mise en place d’une classe de petits propriétaires.

En réalité, dès le maximum démographique apparaissent les signes du déclin.

Dans un système de production très autarcique fondé sur le rapport entre la surface et la population de l’exploitation, le démembrement de l’exploitation communautaire en petites unités de production, les remaniements fonciers ultérieurs, la pression démographique, le déclassement social contribuèrent à détruire l’équilibre des hameaux par le surpeuplement agricole. Le finage du hameau ne pouvait ni occuper ni nourrir une densité de population trop élevée.
La conjonction de ces faits, la transformation pour partie de l’économie céréalière en herbagère et la crise de l’utilisation du bois après 1880 précipitèrent l’affaiblissement des hameaux familiaux et fournirent les contingents de migrants.
Les signes du déclin se voient dans le hameau :
- diminution de la taille des familles.
- disparition progressive des noms de familles patronymiques.
- vieillissement de la population.
L’affaiblissement démographique est la cause majeure de la disparition du bâti.

Persistance de l’habitat dispersé.

L’habitat dispersé se maintint au-delà de la rupture des communautés taisibles puisqu’il se lit sur cadastre révisé. Cette persistance s’exprime par l’isolement matériel dû à l’éloignement des habitats des centres actifs et des grands axes de circulation, mais aussi par l’isolement social lié à l’affaiblissement démographique et au déclin des hameaux familiaux. D’où le semis lâche d’habitat dispersé, constitué par des noyaux de taille variable, plus ou moins espacés les uns des autres, et l’importance des taux de population dispersé dans les communes comportant des habitats patronymiques.
De part et d’autre d’une ligne imaginaire reliant le Boischaut Sud au Morvan, s’individualisent 2 groupes de régions. Celles du Sud et du Sud-Est, caractérisées par la forte dispersion de population ; celles du Nord et du Nord-Ouest, à population moins dispersée.
L’habitat patronymique se localise dans les régions à taux élevés de dispersion de population : l’emprise des communautés taisibles accentua donc le phénomène.

Ampleur des ruptures démographiques et foncières.

L’analyse des recensements entre 1810 et 1901 montre une opposition entre les hameaux familiaux et les domaines. Les hameaux enregistrent un déclin qui varie entre 50 et 65 %, alors que les domaines perdent 18 à 45 % de leur population. Cet affaiblissement démographique entraîne une diminution de la taille des hameaux au-dessous de 50 habitants, les domaines conservant entre 8 et 10 habitants.

Dans les régions de hameaux familiaux, la forte densité de population agricole, le morcellement des exploitations, l’économie orientée vers l’autoconsommation procurent à la famille un revenu insuffisant ; la migration définitive des éléments les plus jeunes en est la conséquence logique. A l’opposé, le domaine est moins affecté par la dépopulation lorsque, début XIXe s., la mécanisation, puis la concentration des moyens de production augmentent la productivité de l’exploitation agricole et les chances d’une ouverture vers les circuits de commercialisation français et étrangers, conditions favorables à la conservation des forces vives dans l’exploitation.

Les conséquences de cette évolution sont la diminution de la population totale du Berry et déclin général des densités rurales dans le reste de la Région Centre.
Au recensement de 1891, 25 % des communes de plus de 10 habitats patronymiques ont moins de 1.000 habitants, toutes ayant plus de 500 habitants ; 75 % ont plus de 1000 habitants, dont 56, 3 % entre 1000 et 2000 habitants, et 18, 7 % plus de 2000 habitants.
Au recensement de 1975, 82, 8 % de ces communes ont moins de 1000 habitants, dont 40, 6 % moins de 500 et 42, 2 % entre 500 et 1000 ; seuls 17, 2 % des communes ont plus de 1000 habitants, le plus souvent sous l’influence d’un centre urbain proche.
De 1891 à 1975, la population des communes inférieure à 1000 habitants augmentent de 123, 8 %, et celle des commune de 1000 à 1500 habitants régresse de 58, 4 % ; et celle des commune de plus de 1500 habitants perd 98, 3 %.

Ce dépeuplement rural entraîne une perte de densité : en 1975, dans le Boischaut Sud, le canton du Châtelet en a une de 11 habitants au km2.

Le contraste est grand entre les 2 types de structure. Alors que le domaine se consolide, le hameau familial tend à disparaître. La rupture du groupe domestique renforce les contrastes initiaux des structures agraires en accentuant les oppositions nées de la dissolution des communauté ; en effet, les pourcentages des grandes ou des petites exploitations des hameaux patronymiques sont en général supérieurs aux valeurs des pourcentages des exploitations de même taille de l’ensemble de Berry.

Dans le 1er cas, la rupture de la communauté accentue le phénomène de concentration. La grande exploitation domaniale issue de la communauté taisible perd ainsi son originalité et se fond dans la masse des grandes exploitations de la région puisque le développement de la mécanisation, le même système de production, la faible taille de la famille les rassemblent. L’adaptation du domaine à l’économie environnante a progressivement nivelé l’ensemble de ces exploitations, qu’elles soient issues d’anciennes communautés taisible ou de fief : leur structure agraire uniforme d’exploitation bloc aux terres regroupées autour des bâtiments centraux se double d’une concordance de leurs problèmes : définition d’un seuil de prix agricoles rentables, abaissement des charges d’exploitation, organisation de la commercialisation des produits.

Les anciennes exploitations communautaires ont perdu leur spécificité ; rien ne les différencie des autres exploitations de même taille ; seul le maintien tardif de formes d’exploitation comme le métayage, leur localisation dans les zones frontières des communes, la densité élevée des toponymes patronymiques évoquent l’empreinte du phénomène communautaire.

Dans le 2d cas, la petite exploitation familiale imprime au paysage rural les grandes lignes de l’organisation du parcellaire. Prédominante dans le hameau, elle impose une structure hétérogène et une production fondée sur la polyculture de subsistance. La faible superficie de ces exploitations, leur parcellaire hétérogène morcelé, les chefs d’exploitation plus âgés dans des régions en constant dépeuplement interdisent une mise en place rapide de nouvelles structures d’exploitation. Pendant tout le XIXe s., le droit de succession, l’attachement de la famille au foncier provoquèrent la méfiance de toute adaptation importante à l’environnement, voire de toute modification de la situation présente, sinon une profonde résignation. D’où le maintien des structures de production inadaptées et l’immobilisme d’agriculteurs qui trouvent déjà difficilement un successeur familial ou étranger.

La situation actuelle porte le poids de l’héritage, celui que les communautés taisibles léguèrent à leur disparition avant la fin du XVIIIe s., tel la dualité entre le hameau familial et le domaine. Tandis que le domaine prolonge la domination de la propriété seigneuriale, le hameau familial subit les effets conjugués de l’éclatement des anciennes familles communautaires, du morcellement du patrimoine et du déclin démographique constant.

Lieu-dit en tournée, métaise ou alternatif, et enclave.

En janvier et en février 1790, lorsque les présidents de Districts durent réorganiser les paroisses en communes après la décision de créer les départements, ils se trouvèrent parfois avec une situation connue de temps immémoriale, mais fort embarrassante, qui leur était familière : des parties de paroisses se trouvaient relever une année d’une paroisse, et une autre année de l’autre, parfois la paroisse avait des enclaves de terrain dans une autre paroisse. Si le problème des enclaves fut résolu avec la confection du cadastre entre l’an 12 et 1840, la présence de lieu-dit en tournée, alternatif ou métaise, dut recevoir une solution immédiate : au cas par cas, chaque assemblée de District décida d’attribuer d’une manière définitive ces lieux-dits à une commune.

Ce type de lieu-dit serait inintéressant s’il provenait d’une simple fantaisie de l’histoire ; or dans la majorité des cas, cette alternativité résulte d’une transaction pécuniaire, révélatrice d’une réalité économique, le défrichement, et de la mentalité des propriétaires.

Entre 1000 et 1250, un chef de famille, hospes ou hospites dans le latin des chartes, colon en français, obtient de l’autorité compétente l’autorisation de défricher, d’essarter un lopin de terre, soit à l’orée d’un bois, soit dans le bois lui-même. Puisqu’il s’agit d’un défrichement, son terrain est vierge de tout impôt féodal et ecclésiastique ; une génération ou deux après, l’autorisation de défrichement est oubliée, et l’autorité commence à s’inquiéter de l’impôt qu’elle pourrait percevoir. Comme ce terrain était à l’origine éloigné de tout centre de peuplement, et le plus souvent situé à égale distance de 2, voire de 3 clochers, chaque curé de paroisse qui veut percevoir la dîme novale, fait valoir ses droits. Il en résulte immanquablement un procès, puis une transaction : l’autorité, le plus souvent l’évêque, décide qu’une année la dîme novale sera payée à tel curé de paroisse, et que l’autre l’année elle le sera à tel autre. Par voie de conséquence, l’habitude étant prise, le lieudit relève de tout pour une année dans la 1re paroisse, et de tout pour l’autre année dans la 2de paroisse : impôt seigneurial, impôt royal, assemblée du général des habitants, en un mot toute l’organisation civile de la paroisse, devenue commune en 1790.

Bellelande. Cne d’Épuisay, Loir-et-Cher. En 1198, 2 chevaliers vendômois, Guillaume de Saint-Martin et Archambault de Caresmo, donnèrent à l’ordre du Temple leur possession au lieu de Bellelande, dans la forêt de Mondoubleau ; en 1212, le défrichement était assez avancé pour valoir à la dîme une somme assez forte qui fit s’opposer le curé d’Épuisay et les frères du Temple ; pour apaiser le conflit, Renaud, évêque de Chartres, partagea les droits paroissiaux entre le curé et l’ordre du Temple, une année pour l’un, une année pour l’autre. Ainsi, relevant censivement de Mondoubleau et du Temple, le hameau de Bellande fut des 2 paroisses d’Épuisay et du Temple en tournée, c’est-à-dire alternativement, une année à l’une et l’autre année à l’autre. Par délibération du District de Mondoubleau de janvier 1791, Bellande resta définitivement à Épuisay.

Vauchalupeau. Cne de Mazangé, Loir-et-Cher. Lieu-dit en tournée entre Azé et Mazangé, rattaché à Mazangé par le Directoire du District de Vendôme, en janvier 1791.

Vauracon. Cne de Mazangé, Loir-et-Cher. Lieu-dit en tournée des paroisses d’Azé et de Mazangé.

L’enclave s’explique de la même façon, à ceci près que, s’il y eut procès, une des parties le gagna et put garder le tout.
Ce type de lieu-dit est bien connu par les actes de procès et les chartes de transaction ; il se situe presque toujours dans une zone de petite culture.